MORBIHAN: Des eucalyptus s'élèvent entre les pins. Symbole de leur terre natale, ces arbres plantés par les premiers Portugais, arrivés sur l'île de Groix il y a 60 ans, ont grandi, à l'image de cette communauté qui représente 10% de la population de l'île.
Aujourd'hui, plus de 200 Groisillons, sur une population totale de 2 200 habitants, sont originaires du Portugal, faisant du "caillou" leur terre de coeur.
Dans un petit bar, Alice Da Silva jongle avec aisance entre le français et le portugais. Originaire de Vila Nova de Gaia, en face de Porto, elle est arrivée à Groix en 1972 avec ses parents et son frère Victor après un périple à pied jusqu'en Bretagne.
"On est arrivé ici un lundi. Le mardi, on me mettait déjà à l'école et le mercredi, mon père a commencé à travailler. On est resté émerveillés par l'île, c'était le paradis ici", raconte la quinquagénaire.
Construire le barrage
La famille est venue rejoindre le grand-père, arrivé sur l'île dans les années 1960 pour fuir la misère qui ravage alors le Portugal et les quatre années de service militaire obligatoire imposées par la dictature de Salazar, au moment des guerres coloniales, comme en Angola.
Il faisait partie d'un groupe de 16 Portugais ayant fui illégalement le pays et qui débarquèrent à Groix, une parcelle de terre de 3 km sur 8, pour rejoindre le chantier de construction d'un barrage sur l'île, encore dépourvue d'eau courante.
Pour Victor, "il ne faut jamais oublier que nos grands-parents et nos parents sont des migrants. Ils avaient un courage fou de débarquer en France sans rien du tout".
Les frères et cousins Da Silva, Texeira, Rodrigues... forment la première diaspora portugaise de l'île.
"Quand ils sont arrivés, ils étaient déplumés. On les a logés, on leur a préparé à manger, fait leur lessive... Comme ils étaient très tournés vers la religion, à l'image des insulaires et des Bretons, ils ont tout de suite été acceptés", raconte Jean-Paul Legoff, Groisillon depuis des générations.
Le barrage construit, des Portugais restent: entre l'assainissement de l'eau et la construction de nouveaux lotissements, le travail ne manque pas.
Certains se marient à des Groisillonnes, montent leurs entreprises de BTP et embauchent des membres de leur famille venus du pays.
"Il y a d'abord un ou deux qui sont venus puis ils ont attiré leurs femmes, leurs sœurs, leurs cousins, leurs frères..." résume le maire de l'île, Dominique Yvon.
"Aujourd'hui, un grand nombre sont chefs d'entreprise et participent grandement à l'économie locale. Beaucoup ont pris la nationalité française: ils sont complètement assimilés Groisillons."
«Chez moi, c'est ici»
Entre deux maisons en pierre cernées de volets bleu marine, une pancarte affiche "Da Silva, père et fils", une des deux principales entreprises de BTP de l'île avec "Texeira Construction", qui salarient chacune environ 15 ouvriers.
Paulo Mendonça, ancien routier de Porto, est arrivé en 2005 pour travailler dans le bâtiment.
Il fait partie de cette nouvelle vague d'arrivants portugais qui a monté ensuite sa propre entreprise, "Paulo Mécanique", et est devenu celui "sans qui à Groix, toutes les voitures seraient en panne", selon son ami Jean-Paul Legoff.
Depuis, l'homme à la barbe brune ne se voit plus vivre ailleurs: "C'est la France qui m'a donné le plus et pour ça, je lui en serai toujours reconnaissant."
Son fils, Édouard, est scolarisé au collège de l'île qui rassemble 28 élèves. S'il se sent Portugais, Français ou Groisillon ? "Pendant un match de football, je suis pour le Portugal. Mais chez moi, c'est ici, à Groix."
Impossible de choisir pour Alice Da Silva: "Quand je suis à Groix, j'ai l'impression d'être Portugaise et au Portugal, on me fait sentir Française: je me sens doublement étrangère."
Mais une chose est sûre, à chaque fois qu'elle quitte l'île, une force l'attire tel un aimant au milieu de cette nature sauvage de bruyère et d'ajoncs.
"Le caillou, c'est comme une personne de ma famille". Et pour Alice, la famille, "c'est précieux".