L’année dernière, l’Europe s’est «soudain» tournée vers l’Afrique du Nord pour renforcer sa sécurité énergétique et mettre fin à sa dépendance vis-à-vis de la Russie, ce qui a accéléré les investissements dans le secteur pétrolier et gazier de la région et a également redynamisé les partenariats traditionnellement dominés par la sécurité, la migration et le commerce bilatéral déséquilibré.
Cependant, à l’ère des chocs convergents tant sur le plan local qu’international, centrer le développement énergétique de l’Afrique du Nord sur les besoins énergétiques à court et moyen terme de l’Europe ne fera qu’exacerber les vulnérabilités existantes tout en ralentissant la transition vers des sources d’énergie propres. De plus, cette partie du monde est déjà profondément fragmentée, avec un commerce intrarégional très limité, ce qui signifie que l’expansion continue de la capacité d’exportation de pétrole et de gaz de la région ne fera que creuser le fossé existant au sein et entre les pays qui ne sont pas encore pleinement intégrés.
L’Europe – principal importateur d’hydrocarbures d’Afrique du Nord – devrait plutôt accélérer le développement énergétique de la région et s’engager à exploiter son grand potentiel d’énergie propre dans le solaire, l’éolien et l’hydrogène vert. Les investissements considérables dans les capacités existantes et la construction des infrastructures nécessaires permettront de stimuler le développement national qui réduira les coûts énergétiques. Ainsi, l’énergie propre et ses dérivés deviendront un produit d’exportation majeur pour les acheteurs d’Europe, d’Afrique subsaharienne et d’ailleurs en Eurasie, à la recherche d’importations ininterrompues d’énergie à faible émission de carbone dans un monde postpétrole.
Cependant, parvenir à cette éventualité sera plus facile à dire qu’à faire.
Aujourd’hui, plus de 90% des approvisionnements énergétiques de l’Afrique du Nord proviennent de combustibles fossiles et d’autres énergies non renouvelables, tandis que les énergies renouvelables ne représentent que 5% environ. Quatre des six pays d’Afrique du Nord brûlent du gaz naturel pour produire de l’électricité, tandis que le Maroc et la Mauritanie dépendent respectivement du charbon et du pétrole. En termes simples, avec de telles structures d’approvisionnement énergétique non diversifiées et dépendantes des combustibles fossiles, les pays de cette région sont très vulnérables aux chocs externes et présentent systématiquement une capacité d’absorption insuffisante.
Les économies des importateurs nets de combustibles fossiles comme la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie sont fréquemment exposées à de fortes hausses de prix, en plus du fardeau que constituent les importations de combustibles fossiles pour leurs réserves de devises. Les exportateurs nets, par ailleurs, ne sont pas uniquement vulnérables aux baisses de prix durables. Leur tendance à subventionner fortement les industries des combustibles fossiles afin qu’elles semblent «bon marché», par exemple, pour la production d’électricité, en utilisant des approvisionnements produits localement, réduit l’espace budgétaire pour investir dans des secteurs critiques comme la santé et l’éducation.
Les énergies renouvelables continuent d’occuper un rôle marginal en Afrique du Nord, bien que leur capacité ait plus ou moins doublé au cours des cinq dernières années. Cette réalité est déconcertante dans la mesure où l’Afrique du Nord fait partie des rares régions à disposer du plus grand potentiel d’énergie propre. Avec un soutien généreux et des investissements ciblés, l’Afrique du Nord pourrait devenir le premier producteur mondial d’énergie propre en capitalisant sur de vastes étendues de terres inhabitées, l’intensité du rayonnement solaire, la capacité éolienne en mer, les réseaux de canalisations existants et les capacités de transmission.
Exploiter le potentiel de l’Afrique du Nord en matière d’hydrogène vert réduira non seulement la dépendance des pays aux énergies non renouvelables, mais également les émissions de gaz à effet de serre.
Hafed al-Ghwell
En termes de rayonnement solaire, par exemple, la taille même du Sahara et l’ensoleillement qu’il reçoit chaque année se traduisent par un énorme potentiel d’énergie solaire. S’il était possible de convertir tout le rayonnement solaire absorbé par le Sahara en énergie, il produirait suffisamment d’électricité pour alimenter non seulement l’Afrique du Nord et l’Europe, mais le monde entier plusieurs fois. Un certain nombre de projets prometteurs cherchent à exploiter ce potentiel – notamment un mégaprojet qui prévoit d’installer jusqu’à douze millions de panneaux solaires sur cinq cents éoliennes au Maroc afin de fournir jusqu’à 8% de l’électricité du Royaume-Uni.
Ces mégaprojets d’énergie propre dispersés à travers l’Afrique du Nord et reliés aux réseaux électriques européens ne sont plus une chimère. Le Maroc «exporte déjà le soleil» vers l’Europe par l’intermédiaire de l’Espagne et l’Égypte étudie des propositions pour faire de même au moyen de la Grèce. L’Algérie possède le plus grand potentiel d’énergie éolienne, capable de produire plus de 7 000 gigawatts s’il est pleinement exploité, tandis que le potentiel combiné d’énergies éolienne et solaire de la Mauritanie est estimé à près de quatre fois ce que le pays produit actuellement en un an.
Au-delà des parcs solaires tentaculaires dans le désert ou des éoliennes géantes en mer, l’Afrique du Nord est également en passe de devenir un important exportateur d’hydrogène vert. En exploitant les énergies renouvelables «bon marché», la région peut passer à une production d’ammoniac vert et/ou d’hydrogène vert avec moins de capital et d’émissions, que ce soit pour l’exportation, l’industrie locale ou l’agriculture.
Cependant, cela suppose que les pays d’Afrique du Nord se tournent vers de bonnes politiques, qu’ils surmontent sur ce plan la paralysie qu’ils connaissent et qu’ils reçoivent un financement généreux à des fins de décarbonation et de diversification de leurs économies – une tâche herculéenne parmi les défis de taille auxquels fait déjà face la région aujourd’hui. Après tout, exploiter le vaste potentiel d’énergie propre de l’Afrique du Nord ne sera ni facile ni bon marché. Pour d’autres, la perspective de recouvrir des parties inhabitées du Sahara de panneaux solaires ou de joncher les côtes méditerranéennes d’éoliennes géantes ne semble ni souhaitable ni judicieuse.
Néanmoins, la décarbonation et la diversification en faveur des énergies renouvelables permettront à l’Afrique du Nord de réduire les coûts énergétiques, d’atteindre les objectifs en matière d’émissions et d’accroître les capacités d’exportation des importateurs d’énergie qui dépendent toujours des combustibles fossiles avant une transition mondiale vers des sources d’énergie plus propres. Pour les pays de la région qui importent des combustibles fossiles, la diversification des économies et de leurs bouquets énergétiques réduira les risques de perturbations, tandis que les exportations de capacités excédentaires générées peuvent considérablement augmenter les recettes d’exportation. La baisse des coûts de l’énergie permet également de renforcer rapidement les capacités solaires et éoliennes, ce qui ouvre la voie à une production d’hydrogène vert à grande échelle qui peut alors devenir un moteur majeur du développement durable de l’Afrique du Nord.
Pour l’avenir, les investissements ciblés de l’Europe dans le secteur de l’énergie propre de la région présentent des avantages mutuels des deux côtés de la Méditerranée. Par exemple, exploiter le potentiel de l’Afrique du Nord en matière d’hydrogène vert réduira non seulement la dépendance des pays aux énergies non renouvelables, mais également les émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 75% en un peu plus d’une décennie.
En outre, cela permettra à l’Europe et à l’Afrique du Nord de tracer des voies pragmatiques vers une évolution indispensable qui résoudrait les problèmes insolubles de la région, qui vont du chômage des jeunes aux poussées migratoires en passant par les inégalités généralisées et le fardeau de la dette insoutenable – pour n’en citer que quelques-uns. À son tour, l’Europe disposera de bien meilleures options d’importation d’énergie, en particulier compte tenu des cas d’utilisation finale variés et étendus de l’hydrogène vert qui contribueront à la croissance du bloc (dans un monde postpétrole inévitable) sans compromettre ses engagements de réduction substantielle des émissions.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies, à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com