NEW YORK: Pendant sa campagne en 2020, le président américain Joe Biden défendait l'abolition de la peine de mort au niveau fédéral. Mais le ministère de la Justice demande la peine capitale pour Sayfullo Saipov, qui a tué huit personnes à New York en 2017 au nom du groupe Etat islamique (EI).
Le 26 janvier, cet Ouzbek de 35 ans a déjà été déclaré coupable de meurtres aggravés et de "soutien à un groupe terroriste" par le jury d'une cour fédérale de Manhattan. Lors d'un second procès qui doit commencer lundi, les mêmes douze jurés devront décider s'il doit être emprisonné à vie ou condamné à la peine de mort.
S'ils choisissent cette seconde sentence, ils devront être unanimes.
Le 31 octobre 2017, jour de la fête d'Halloween, Sayfullo Saipov avait foncé à bord d'un pick-up sur des passants sur une piste cyclable des bords du fleuve Hudson à Manhattan. Une chevauchée meurtrière qui avait fait huit morts, dont cinq Argentins et une Belge, et de nombreux blessés.
Le procès a donné lieu à des récits douloureux des victimes et l'accusation a rappelé que Saipov, qui avait prêté allégeance à l'EI, n'a jamais exprimé de remords.
Couloirs de la mort
A l'époque, le président républicain Donald Trump avait immédiatement réclamé la peine de mort, une position adoptée par son ministère de la Justice et maintenue par l'actuel gouvernement Biden. En contradiction, aux yeux des organisations de défense des droits humains, avec l'engagement du candidat Biden en 2020 d'abolir la peine de mort au niveau fédéral.
"Il n'est pas trop tard pour que l'administration Biden tienne la promesse de campagne du président de reléguer aux oubliettes de l'Histoire la peine de mort fédérale", un instrument "cruel", "peu fiable" et "raciste", a déclaré Brian Stull, un responsable de l'Union américaine des libertés civiles (ACLU), en demandant aux procureurs de faire machine arrière.
Un appel resté vain pour l'instant, même si un moratoire sur les exécutions fédérales a été imposé en juillet 2021 par le ministre de la Justice Merrick Garland.
Celles-ci étaient de toute façon très rares, les exécutions -- six en 2023 -- étant le plus souvent appliquées par les Etats qui n'ont pas encore aboli la peine de mort. Donald Trump avait fait exception à cette règle en ordonnant treize exécutions, un record, à la fin de son mandat.
Les militants pour l'abolition de la peine capitale reprochent aussi à Joe Biden de ne pas avoir commué en prison à vie les peines des 44 condamnés qui attendent dans les couloirs de la mort fédéraux, en pointant justement le risque qu'ils soient exécutés sous un autre président dans le futur.
«Arbitraire»
Dans un recours déposé le 30 janvier, l'avocat de Sayfullo Saipov, David Patton, assure que son client "est le seul accusé fédéral de tout le pays contre lequel le ministère de la Justice demande la peine de mort au procès", au contraire de cas où le meurtrier a fait plus de victimes, comme la tuerie anti-hispanique d'El Paso en 2017 (23 morts).
Pour l'avocat, c'est une décision "arbitraire" et "inconstitutionnelle", fondée sur la "religion et (l')origine nationale" de cet immigré ouzbek arrivé aux Etats-Unis en 2010.
Certains observateurs y voient plutôt une exception liée à la qualification terroriste de l'affaire retenue par la justice, à l'instar du dossier de l'attentat à la bombe du marathon de Boston en 2013. Dans cette affaire, le ministère de la Justice n'a pas fait barrage à une requête de l'administration Trump devant la Cour suprême visant à rétablir la peine de mort contre l'un des auteurs, Djokhar Tsarnaev.
"Dans cet espace étroit où l'on a affaire à des actes terroristes horribles, le ministre de la Justice (Merrick Garland) pense en son âme et conscience que la peine de mort est une sanction appropriée", analyse le professeur de droit à l'université Pace et ancien procureur, Bennett Gershman.
S'il était condamné à mort, Sayfullo Saipov pourrait faire appel et ne pourrait de toute façon pas être exécuté en vertu du moratoire.
"Ce dossier prendra encore des années, il aura un coût financier et les familles resteront dans l'incertitude. (...) Puisqu'on ne l'utilise pas, pourquoi ne pas se débarrasser de la peine de mort ?", demande le directeur exécutif du Centre d'information sur la peine de mort, Richard Dieter, en soulignant qu'elle est "en recul" dans le pays.
Il y a environ une vingtaine d'exécutions par an aux Etats-Unis, contre le double il y a une dizaine d'années.