NEW YORK: La décision du secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, de classer le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël comme une organisation antisémite a relancé un débat féroce sur ce qui constitue l'antisémitisme, et sur les limites de la liberté d’expression.
Kenneth Stern, avocat américain et directeur du Bard Center for the Study of Hate, qualifie la décision de Pompeo d’«improductive et de troublante».
«Même si les instigateurs du BDS sont clairement antisionistes, de nombreuses organisations le soutiennent parce qu’elles sont préoccupées par le contrôle par Israël de la Cisjordanie. Donc, assimiler le BDS et l'antisionisme dans son ensemble à l'antisémitisme est tout simplement faux», explique l’avocat à Arab News.
Pompeo a demandé à l’envoyé du département d’État sur la lutte contre l’antisémitisme «d’identifier les organisations qui s’engagent ou soutiennent» le BDS.
Cela fait craindre que les groupes de défense des droits humains palestiniens et internationaux qu'Israël accuse, à tort ou à raison, de soutenir le BDS ne se voient refuser un financement américain.
Bien qu'il soit un sioniste autoproclamé, Kenneth Stern considère la création d'une liste noire d’organisations qui critiquent fortement la politique et la société israéliennes comme problématique.
«Ce n’est pas en créant rapidement une règle dure qui assimile tous les types de protestation et de dissidence à de la haine que vous gérez les différends politiques. Car ce n’est pas le cas», poursuit-il.
Harley Lippman, président de l'Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy (ISGAP), lui, ne pouvait être plus en adéquation avec Pompeo.
«Le BDS est un mouvement international qui vise à mettre Israël à genoux», explique Harley Lippman à Arab News. «Ils ne critiquent pas seulement les politiques israéliennes. Ils mettent en place quelque chose qui pourrait détruire Israël, si les nations du monde coopéraient.»
Pour les critiques, le BDS représente un obstacle à la fin du conflit israélo-palestinien, car il rejette le droit de l'État juif à exister et écarte les efforts entrepris pour tisser des liens au motif qu'ils «normalisent» Israël.
«Toutes ces affirmations ont été inventées par des politiciens de droite. Aucune d'entre elles n'est vraie», explique Miko Peled, un militant israélo-américain, à Arab News.
«Les exigences du BDS sont très claires: la fin de l'occupation militaire, l’égalité des droits pour les Palestiniens et toutes les personnes qui vivent dans la Palestine historique, et le droit des réfugiés de retourner sur leurs terres et chez eux», ajoute-t-il.
«Ce ne sont pas des exigences pour blesser ou expulser qui que ce soit. Elles sont réparatrices, pour remédier à la réalité dans laquelle les Palestiniens vivent à la suite de la création de l’État d’Israël.»
Miko Peled est né et a grandi à Jérusalem dans une «famille très sioniste, aussi sioniste que l’on puisse l'imaginer».
Son grand-père a signé la déclaration d’indépendance d’Israël, son père était général dans l’armée, et nombre de ses oncles étaient ambassadeurs.
Mais un voyage dans les territoires palestiniens l'a fait sortir «pour soutenir la lutte pour la justice et la liberté en Palestine».
Il a découvert «une histoire dont on ne m’a pas parlé, dont les Israéliens étaient tenus à distance», et l’a relatée dans son livre Le fils du général: le voyage d’un Israélien en Palestine.
«Les Palestiniens de Palestine vivent sous un régime brutal d'apartheid, soumis à des lois racistes et à un état policier qui leur rend la vie impossible», explique Miko Peled.
Pour lui, la décision de Pompeo de qualifier le BDS d’antisémite repose sur une hypothèse erronée, selon laquelle «le fait de s’opposer et de rejeter Israël et le sionisme est raciste, alors qu’en fait c’est le contraire. S'opposer au sionisme, c’est s’opposer au racisme et à l'antisémitisme. Mais les partisans d’Israël ont tout inversé. Maintenant, ils perpétuent ce mythe partout.»
La Chambre des représentants des États-Unis a adopté une résolution contre le BDS l'année dernière, et plusieurs États américains ont promulgué des lois similaires. Certaines de ces lois ont cependant été annulées pour violation du premier amendement concernant la liberté d'expression.
Un sondage publié l'année dernière a montré qu'un Américain sur cinq approuvait le BDS comme moyen de s'opposer à la politique israélienne envers les Palestiniens.
«D’un campus à l’autre à travers le monde, les étudiants soutiennent le BDS», décrit Miko Peled. «Est-ce que cela entraîne l'effondrement de l'économie israélienne? Bien sûr que non. Mais ces choses prennent du temps. C'est une question de sensibilisation. De plus en plus de gens sont conscients que l’achat d’un produit fabriqué en Israël est une erreur.»
Au contraire, pour Harley Lippman, membre de longue date du Comité des affaires publiques israéliennes américaines (AIPAC), les actions du BDS se retournent contre lui.
«Tout ce qu'il fait, c'est galvaniser les gens autour d'Israël. Comme nous nous sentons menacés, cela finit par nous motiver à faire plus pour Israël et à le défendre davantage», explique-t-il.
Malgré le retrait d'Israël de certaines entreprises, les investissements étrangers dans le pays sont en plein essor. Israël dépend moins de l'exportation de produits de base que de la propriété intellectuelle telle que les logiciels, ce qui rend le boycott plus difficile.
«Si Israël est la nation la plus puissante du Moyen-Orient, c’est aussi la plus fragile. Le fait que son économie soit en plein essor ne diminue en rien le caractère sinistre et plein de préjugés de ce que le BDS essaie de faire », poursuit M. Lippman.
«C’est comme dire : “Il existe un parti nazi aux États-Unis, mais il ne fait pas de mal aux juifs en ce moment, alors où est le problème? Eh bien, pas encore. Mais nous connaissons tous l'idéologie nazie. Nous savons que leur objectif serait d'assassiner tous les juifs», ajoute le président de l’ISGAP dont la famille a perdu 86 membres pendant l'Holocauste.
Kenneth Stern, auteur de The Conflict over the Conflict, qui aborde le débat israélo-palestinien sur les campus universitaires, révèle : «Je comprends le désir de certaines parties de la communauté juive et de la communauté évangélique qu'il y ait un seul État juif. Le fait de le cibler et de remettre en question son droit d'exister est une manifestation d’antisémitisme. Je comprends pourquoi ils veulent mettre en avant ce point.»
«Mais je m'inquiète pour un autre aspect. Juridiquement, nous sous-entendons l’idée que l’antisionisme est toujours de l’antisémitisme. Cela aura un impact négatif sur la capacité, entre autres, des Palestiniens à faire valoir leurs arguments. Je ne suis peut-être pas entièrement d'accord avec leur cause, mais ils ont sans aucun doute le droit de le faire.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com