PARIS: Ministre discret en pleine lumière, et avocat de la réforme des retraites embarrassé au plan judiciaire, Olivier Dussopt aura fort à faire pour tenir son rang de rouage clé du gouvernement, recruté à gauche par Emmanuel Macron au grand dam de son ancien camp.
Le timing n'a rien d'idéal, trois jours avant la grande explication à l'Assemblée nationale. Mais le ministre du Travail n'a pas vraiment été surpris par l'article de Mediapart vendredi: son avocat avait reçu le 23 janvier la synthèse du Parquet national financier, qui l'accuse de "favoritisme" dans un marché public passé en 2009 avec la Saur, un groupe de traitement de l'eau, quand Olivier Dussopt était maire d'Annonay (Ardèche).
"La seule chose qui m'intéresse aujourd'hui, c'est, comme ministre, d'aller au bout de cette réforme. Et comme citoyen, comme personne privée, de continuer à avancer, à rappeler d'abord (...) qu'il n'y a pas d'accusation de corruption" et "continuer à me défendre et à expliquer que ma position était de bonne foi", a réagi l'intéressé samedi.
Omniprésent dans l'agenda du gouvernement -retraites, assurance-chômage, dossier immigration avec Gérald Darmanin-, Olivier Dussopt conserve "toute la confiance" d’Élisabeth Borne.
"Elle n'a pas vraiment le choix", juge l'opposant PS Jérôme Guedj, alors que la réforme des retraites arrive dans l'hémicycle après des mois de concertation et deux premières journées de fortes manifestations.
Il y avait d'ailleurs du monde à Annonay, ville natale du ministre (44 ans) dont il fut le maire de 2008 à 2017, pour contester cette réforme: 3.500 manifestants lors de la première journée, 7.000 le 31 janvier. Comme un symbole d'une mobilisation particulièrement ancrée dans les villes moyennes.
Ses ex-administrés eurent beau jeu de lui rappeler son opposition au report de l'âge légal en 2010, lorsqu'il ferraillait contre le gouvernement Fillon depuis les bancs socialistes.
Pour ses anciens camarades, l'affaire est entendue: passé de la gauche à la droite du PS puis à la macronie, de Martine Aubry et Benoît Hamon à Manuel Valls puis Emmanuel Macron, Olivier Dussopt personnifie la "trahison".
-"Je suis immunisé"-
Ce fils d'ouvrier n'avait-il pas, en 2014, frôlé l'altercation avec le tout nouveau ministre Macron, qui venait d'évoquer des salariées "illettrées" d'un abattoir de Bretagne ? Réélu député socialiste en 2017, n'a-t-il pas voté contre le premier budget du nouveau président, quelques jours avant de rejoindre son gouvernement ?
"J'ai honte pour vous, de ce que vous défendez aujourd'hui", l'a durement attaqué le patron du PS Olivier Faure à l'Assemblée.
"Les procès en trahison, je suis immunisé. Surtout quand ils viennent de ceux qui ont vendu la social-démocratie à l'extrême gauche", a répliqué ce ministre d'ordinaire si retenu dans son expression, sortant de ses gonds pour l'occasion.
Diplômé de Sciences-Po Grenoble, benjamin de l'Assemblée en 2007, Olivier Dussopt n'a pourtant "jamais été de la deuxième gauche", tendance Rocard contre Mitterrand, rappelle l'ancien député PS ardéchois Pascal Terrasse. Qui n'en couvre pas moins d'éloges ce ministre "qui bosse comme un malade, un véritable moine politique".
"On dit souvent qu'on ne choisit pas sa famille mais il y a une famille que l'on choisit, c'est la famille politique", expliquait M. Dussopt fin août chez Renaissance, le parti du président à qui il a arrimé sa petite formation, Territoires de Progrès.
C'est peu dire que sa nouvelle famille l'a adopté: Édouard Philippe loue la "maîtrise parfaite des dossiers les plus techniques" et le "sens exceptionnel de la négociation" du secrétaire d'Etat, puis ministre des Comptes Publics qui hérite du Travail en 2022. Et pour vendre cet abîme de complexité qu'est la réforme des retraites, un de ses collègues du gouvernement a trouvé la martingale: "laisser faire Dussopt".
"C'est dur, il prend tout, observe un autre ministre. L'opposition à la réforme, le débat parlementaire, plusieurs mois de boulot, de concertations. Et quand la réforme devient un objet politique, c'est la Première ministre qui prend. Il fait le job, mais il a la partie ingrate".
"Après, c'est vrai qu'il ne perce pas. Il fait peu de fautes... Mais il y a peu de points marqués", poursuit ce collègue. Dans l'hémicycle, Olivier Dussopt recevra le soutien de Gabriel Attal.