DJEDDAH: L’Arabie saoudite vit un moment historique avec le lancement de la 1re Biennale des arts islamiques, qui présente des œuvres historiques et contemporaines en provenance du monde entier.
Dans la soirée du 22 janvier, le terminal occidental du Hajj de l’aéroport international Roi- Abdelaziz de Djeddah a accueilli un très grand nombre de visiteurs particulièrement impatients. Ce n’étaient pas là les pèlerins habituels qui utilisent le terminal chaque année pour se rendre à La Mecque, mais des personnes qui attendent une autre forme de voyage, métaphorique, dans le domaine de l’art islamique. C’est ce que leur réserve la toute première Biennale des arts islamiques organisée par le Royaume.
La foule s’est rassemblée sous les auvents impressionnants du terminal du Hajj, conçu par Skidmore, Owings & Merrill et qui a remporté le prix Aga Khan d’architecture en 1983.
Cet événement, qui réunit de nombreuses œuvres d’art nouvellement commandées et inédites, marque un moment historique non seulement pour l’Arabie saoudite et la Fondation de la Biennale de Diriyah, qui a organisé l’événement, mais pour le patrimoine de l’art islamique. En effet, ce dernier n’a pratiquement jamais bénéficié d’une exposition internationale d’une telle envergure depuis le World of Islam Festival, organisé à Londres en 1976.
La 1re Biennale des arts islamiques de Djeddah célèbre le patrimoine de l’art islamique dans un lieu proche de La Mecque, la source et le berceau de l’islam. Elle établit en outre un dialogue entre le passé, le présent et l’avenir à travers des œuvres contemporaines de soixante artistes établis et émergents d’Arabie saoudite et d’ailleurs et avec plus de soixante nouvelles commandes et deux cent quatre-vingts artefacts historiques.
L’expérience est à la fois éclairante, mystique et enrichissante dans la mesure où cette biennale, tout comme son thème, «Awwal Bait» – qui signifie «première maison» en arabe –, célèbre la beauté et le patrimoine de l’art islamique dans le berceau de l’islam.
«La Biennale islamique, organisée à cet endroit du terminal occidental du Hajj, donne du sens et des perspectives», déclare ainsi Saad Alrachid, éminent chercheur saoudien, archéologue et conservateur de l’événement, dans un entretien accordé à Arab News.
«Djeddah est la porte du Haramain. Elle a une histoire profonde. Il y a une accumulation de cultures en Arabie saoudite. À travers les âges, cette région a été le carrefour des civilisations entre les régions orientale et occidentale, jusqu’au Nord. L’organisation de la Biennale islamique dans un tel site expose au monde entier l’idée d’un lien entre l’ensemble des musulmans et tous ceux qui viennent en Arabie saoudite ou qui en repartent sur le plan géographique, historique et politique.»
Dans le même esprit, le thème de l’exposition, Awwal Bait, raconte comment la Sainte Kaaba, à La Mecque, et la Mosquée du Prophète, à Médine, sont des sources d’inspiration pour les musulmans, à la fois sur le plan culturel et métaphysique. Ils leur permettent d’explorer leur sentiment d’appartenance et de réfléchir à la définition de la maison.
«Fondamentalement, la biennale consiste à donner une maison aux objets contemporains en leur attribuant des origines et à conférer aux objets historiques une maison en leur donnant un avenir», explique Sumayya Vally, directrice artistique de la Biennale des arts islamiques, à Arab News.
«Voir la biennale prendre vie à travers les voix et les perspectives de nos artistes a été particulièrement émouvant», ajoute-t-elle. «Chacun d’entre eux a saisi avec audace et sensibilité l’occasion qu’offre cette plate-forme pour contribuer à un discours émergent sur les arts islamiques qui, nous l’espérons, se poursuivra.»
L’organisation de la Biennale des arts islamiques est le résultat d’un effort mondial, avec la participation de plus de dix-huit institutions locales et internationales, parmi lesquelles la Présidence générale pour les affaires des deux Saintes Mosquées. Des artefacts ont été prêtés par d’autres institutions internationales prestigieuses qui s’intéressent aux arts islamiques, comme le musée Benaki, à Athènes, le musée d’histoire des sciences de l’université d’Oxford, le Louvre de Paris et le Victoria and Albert Museum à Londres.
La biennale a été organisée par un groupe pluridisciplinaire de spécialistes, dont font partie Omniya Abdel Barr, architecte égyptienne, le Barakat Trust Fellow au Victoria and Albert Museum, et Julian Raby, directeur émérite du Musée national d’art asiatique de la Smithsonian Institution à Washington, DC.
«La tâche qui consiste à trouver des objets qui ont survécu et qui ont été fabriqués à La Mecque et à Médine était ardue», indique Abdel Barr à Arab News. «Nous avons cherché dans les collections pour voir comment nous pouvions établir une conversation entre des objets historiques, tout en gardant à l’esprit le contexte contemporain; c’était la partie la plus passionnante.»
Au niveau régional, la Fondation de la biennale de Diriyah a obtenu des prêts pour exposer auprès d’institutions comme la bibliothèque du roi Abdelaziz, le Musée national, le Centre de recherche et d’études islamiques du roi Faisal et l’université du roi Saoud – toutes basées à Riyad –, ainsi que le Musée des antiquités et du patrimoine de La Mecque, la Présidence générale pour les affaires des deux Saintes Mosquées et l’université Oum al-Qura. De la région au sens large, des œuvres de la collection Al-Sabah, de Dar al-Athar al-Islamiya, au Koweït, du Musée d’art islamique du Caire et du Musée d’art islamique de Doha, entre autres, ont été prêtées.
L’expérience visuelle est mystique, comme un pèlerinage à part entière. Elle commence dans l’obscurité avec Cosmic Breath, une œuvre de commande de l’artiste libano-américain Joseph Namy, qui fait entendre des appels à la prière enregistrés. Cette création entre en résonance avec l’installation de l’artiste saoudienne Nora Alissa intitulée Epiphamania: The First Light. Cette dernière révèle divers clichés en noir et blanc de pèlerins qui se trouvent autour de la Kaaba. Sous son abaya, elle les photographie de manière impressionnante. À proximité se trouve un astrolabe islamique positionné vers La Mecque. Ces trois œuvres sont comme le reflet de cette exposition soigneusement organisée, qui montre quel dialogue peut être instauré entre les œuvres d’art islamique historiques et contemporaines.
La structure de la biennale est divisée en quatre galeries et deux pavillons, qui abritent des œuvres d’art consacrées aux rituels islamiques quotidiens et au Hajj. Ces sections visent à évoquer à la fois des émotions personnelles et collectives relatives à la vie spirituelle des musulmans du monde entier.
On trouve à l’extérieur des œuvres à grande échelle, qui sont de récentes commandes et sont situées autour des auvents expansifs et évocateurs du terminal. Elles se mélangent harmonieusement aux rayons du soleil et au paysage de Djeddah, avec ses avions qui décollent haut dans le ciel à un rythme régulier. Des œuvres extérieures communiquent avec la nature et l’architecture du terminal lui-même, récompensée par le prix Aga Khan.
À l’extérieur se trouvent également les pavillons de La Mecque et de Médine, qui présentent du matériel des deux Saintes Mosquées, du Masjid al-Haram et de la Hujra al-Sharifa, à Médine. L’accent est mis ici sur le voyage initial que le prophète Mahomet et ses partisans ont entrepris de La Mecque à Médine afin d’échapper à la persécution. Les objets exposés – à nouveau, un savant mélange de pièces historiques et contemporaines – mettent en lumière le sentiment d’appartenance universelle qui découle du pèlerinage musulman et du retour à la maison.
Autour des pavillons se trouvent des œuvres d’artistes comme Dima Srouji, Shahpour Pouyan, Moath Alofi, Rim al-Faisal, Alia Farid et Lin Ajlan.
Il convient de mentionner l’installation architecturale de Bricklab Air Pilgrims Accommodation 1958, inspirée du logement historique du Hajj de Djeddah, que la directrice artistique, Sumayya Vally, décrit comme un site qui «a rassemblé des personnes du monde entier en un même endroit – un lieu de production culturelle et de commerce».
«L’idée que véhiculent les œuvres situées à l’extérieur, c’est qu’elles génèrent des invitations à se rassembler, à discuter et à échanger», confie-t-elle à Arab News.
Cette sensation est également présente dans The Endless Iftar de l’artiste tanzanienne Lubna Chowdhary, une table de quarante mètres de long inspirée des rituels de repas et de rassemblement du monde entier pendant le ramadan.
À l’extérieur se trouve également My Place is the Placeless, de Shahpour Pouyan, un artiste iranien qui habite à Londres. Cette œuvre présente trois grands dômes architecturaux de couleurs différentes qui représentent les trois principales traces de l’ADN de l'artiste. Ce dernier a en effet fait un test pour connaître ses origines, qui vont au-delà de son Iran natal et incluent la Scandinavie, l’Asie centrale et du Sud et le Moyen-Orient.
«Il est question d’interdépendance humaine. Le but est de briser les étiquettes et les identités ethniques», explique M. Pouyan à Arab News.
Comme les autres œuvres exposées, l’œuvre de M. Pouyan reflète non seulement la culture islamique, mais son universalité ainsi que sa capacité à établir des liens au-delà du Moyen-Orient et à offrir une force unificatrice qui va au-delà de la religion, de la nationalité et de la culture.
Comme l’affirme M. Alrachid: «L’islam est une communication de savoir et de culture.»
Il ajoute: «Depuis l’initiative Vision 2030, nous sentons que nous sommes plus accueillants, tout comme les Mecquois, dans le passé, accueillaient les visiteurs pendant le Hajj.»
«Nous montrons au monde entier comment apprécier l’art islamique», soutient-il. «La biennale n’est pas une simple exposition ou quelque chose qui appartient au passé: elle se poursuit à travers la culture et l’intégration grâce au multiculturalisme des musulmans.»
Le thème le plus puissant de l’exposition est sans doute l’idée de l’islam et de son art à travers les âges en tant qu’élément unificateur physique et métaphorique qui continue de servir de lien entre diverses cultures et peuples à travers le monde. C’est également un moyen, comme M. Vally le souligne à Arab News, «de définir pour le reste du monde ce que signifie être musulman de notre propre point de vue, à travers notre propre art et notre propre culture, et de montrer de quelle manière l’islam détient le pouvoir de nous unir tous, même les non-musulmans, à travers notre histoire, nos traditions et nos pratiques spirituelles».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com