NOUAKCHOTT: C'est l'histoire d'une disgrâce et d'une amitié ruinée entre un ancien président et son successeur: l'ex-leader mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz est jugé à partir de mercredi sous l'accusation d'avoir abusé du pouvoir pour amasser une fortune immense.
La justice a fait arrêter M. Aziz mardi après-midi en vue de son procès, a rapporté un de ses avocats, Me Ciré Cledor Ly, dernière vexation en date depuis que l'ex-président a cédé la place à son dauphin désigné, Mohamed Ould Ghazouani, il y a moins de quatre ans.
Un responsable sécuritaire a laissé entendre que sa dizaine de co-accusés avaient connu le même sort.
M. Aziz devient l'un des rares ex-chefs d'Etat à répondre d'enrichissement illicite pendant les années, de 2008 à 2019, où il a dirigé ce pays charnière entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, secoué naguère par les coups d'Etat et les agissements djihadistes mais revenu à la stabilité quand le trouble gagnait dans la région.
Ses pairs jugés par les justices nationale ou internationale le sont surtout pour des crimes de sang, tel, ailleurs en Afrique de l'Ouest, l'ancien dictateur guinéen Moussa Dadis Camara, à la barre depuis septembre.
L'attente générale est que M. Aziz vende chèrement sa peau. Il a brandi la menace de révélations.
À 66 ans, il doit répondre avec d'anciens Premiers ministres, ministres et des hommes d'affaires d'accusations d'"enrichissement illicite", d'"abus de fonctions", de "trafic d'influence" ou de "blanchiment".
Un «frère»
Lui et ses co-accusés sont soupçonnés de malversations lors de la passation de marchés publics ou de la cession du domaine immobilier et foncier national.
M. Aziz, fils de commerçant, se serait constitué un patrimoine et un capital estimés à 67 millions d'euros au moment de son inculpation en mars 2021.
Sans nier être riche, M. Aziz a refusé de s'expliquer sur l'origine de sa fortune et crie à la machination.
Il se présentera au tribunal pour "défendre (son) honneur" contre des "accusations extravagantes", a-t-il écrit mardi dans une déclaration transmise par un de ses avocats.
Sous M. Aziz, général impliqué dans un coup d'Etat en 2005 et qui a pris la tête d'un second putsch en 2008 avant d'être élu président l'année suivante et réélu en 2014, la Mauritanie a endigué la poussée djihadiste qui allait s'étendre au reste du Sahel, à commencer par le voisin malien.
Son bilan contre la pauvreté ou la discrimination envers certains groupes humains de ce pays de 4,5 millions d'habitants grand comme deux fois la France est plus sombre.
Sa chute a commencé fin 2019, quelques mois après avoir passé la main à son ancien chef d'état-major Ghazouani, général comme lui et considéré comme le cerveau de l'exception mauritanienne face aux djihadistes.
En décembre 2019, M. Ghazouani décrivait encore M. Aziz comme "mon frère, mon ami".
Depuis, M. Aziz a connu l'inculpation, le gel ou la saisie de ses biens et la détention.
Toi aussi, mon beau-fils
"Le procès est politisé depuis le départ", non parce que M. Ghazouani voudrait éliminer politiquement un rival qui se réserve de revenir, mais plutôt en raison d'un "parlementarisme dévoyé", hérité des Printemps arabes, dit l'un des avocats de M. Aziz, Me Taleb Khayar Ould Med Mouloud.
C'est avec une enquête parlementaire qu'ont commencé les ennuis de M. Aziz. "Beaucoup de gens ont des raisons de lui en vouloir, parmi lesquels les Frères musulmans qu'il a pourchassés", dit l'avocat.
M. Ghazouani s'est toujours défendu d'ingérence dans le dossier.
L'un des nombreux avocats de l'Etat, Me Brahim Ebetty, assure que ses co-accusés accablent M. Aziz. "Même son gendre l'enfonce", dit-il.
"Comment ça, un procès politique ?", abonde Moussa Samba Sy, directeur du Quotidien de Nouakchott, qui a beaucoup écrit sur la prévarication sous M. Aziz. "C'était lui le président, donc le responsable", assène-t-il.
Il écarte une onde de choc politique, M. Aziz étant à présent un homme seul selon lui.
Les gens "pensent que c'est une histoire entre dirigeants. Mais beaucoup pensent que c'est l'occasion de tourner la page de la gabegie", observe-t-il.
Les parties s'attendent à des semaines ou des mois de procès.