PARIS : Convaincre Catherine Deneuve de tourner un premier film, pendant un mois, au cœur d'une forêt tropicale : mission improbable mais accomplie pour deux réalisateurs trentenaires avec "Terrible Jungle", comédie qui sort mercredi. En écrivant le scénario de ce long-métrage truffé de gags, l'histoire d'un anthropologue débutant (Vincent Dedienne) qui tente d'échapper, en pleine jungle, à l'emprise de sa mère, Hugo Benamozig et David Caviglioli ont tout de suite pensé à l'icône du cinéma français, 76 ans, et plus de 100 films au compteur.
Pour contraster avec le personnage de Vincent Dedienne, explorateur naïf à la Tintin, les deux Parisiens, amis de lycée, imaginent alors une "super Deneuve, une dame extrêmement intimidante et très sûre d'elle, qui a l'air de tout maîtriser dans sa life", explique Hugo Benamozig. Mais sans vraiment y croire. "Au maximum, on pensait donner Deneuve en référence à une autre actrice", s'amuse son comparse et co-réalisateur David Caviglioli, journaliste culturel passé derrière la caméra pour l'occasion. "On n'y croyait tellement pas qu'on a dit "envoyons-lui le scénario, on passera à autre chose et on fera notre deuil de ça", embraye Hugo Benamozig, qui a suivi des études de scénario et réalisé des courts-métrages. "Mais le mercredi suivant, on allait déjeuner avec elle. Là, tu passes la journée la plus stressante de ta vie!".
A la grande surprise des trentenaires, après un repas cordial, l'affaire est dans la poche. "Je crois qu'elle a aimé le défi, l'idée de le faire", avance David Caviglioli. Son comparse salue son "courage" de partir à "12.000 kilomètres pour tourner avec une équipe qui a en moyenne 33 ans d'âge, où elle ne connaît personne". Sur l'île de la Réunion, où est tourné pour des raisons pratiques ce film censé se dérouler en Guyane, les réalisateurs se régalent à diriger Catherine Deneuve. "Tu as tout d'un coup toute la cinématographie du monde qui t'arrive dessus (mais) tu ne te poses pas du tout de questions", raconte M. Benamozig : "elle a cette petite magie qui fait que tu n'es pas du tout encombré par sa présence quasi-mythologique". Et "tu peux lui dire des choses. Enfin, en la vouvoyant évidemment !".
"Tellement plus pro"
A l'écran, Deneuve débarque en pleine jungle, comme un lointain écho à l'un de ses rôles les plus marquants, en duo avec Yves Montand dans "Le Sauvage", de Jean-Paul Rappeneau. Les réalisateurs ont revu ce film de 1975 mais soulignent que "les personnages sont très éloignés" de ceux de "Terrible Jungle". En grande bourgeoise hautaine, Deneuve y maximise l'effet comique avec ses moues dédaigneuses, face à un commandant de gendarmerie benêt (Jonathan Cohen) ou à des indigènes au mode de vie bouleversé par la mondialisation.
"Elle est tellement plus pro que nous", s'incline Hugo Benamozig. "Au niveau technique aussi, elle a vu venir des problèmes à des milliers de kilomètres d'avance !". Dès le premier rendez-vous, Deneuve s'est inquiétée de la façon dont les réalisateurs comptaient conduire les imposants générateurs électriques du tournage en pleine forêt... Un jour de pluie diluvienne, face à un chef opérateur dans la boue jusqu'aux genoux, le duo, "dans une galère horrible", se mordra les doigts de ne pas avoir pris l'avertissement plus au sérieux !
En un mois de compagnonnage, les réalisateurs n'ont pas la prétention d'avoir percé à jour le mythe Deneuve, qui a depuis été victime d'un accident vasculaire, fin 2019. Rétablie, elle a repris les tournages cet été, avec un film d'Emmanuelle Bercot, "De son vivant". "En fait on ne la connaît pas bien. On n'est jamais devenus intimes", reconnaît David Caviglioli. "Un soir, elle m'a dit que tous ses amis lui demandaient "Mais pourquoi tu vas dans la jungle avec ces jeunes ? ", se souvient son co-réalisateur : elle leur répondait simplement "qu'elle le sentait bien et que ça l'amusait".