BEYROUTH: Les familles des victimes de l'explosion du port de Beyrouth au mois d’août 2020 ont organisé un sit-in de masse pour protester contre l'obstruction de l'enquête officielle.
Cette dernière se trouve en effet dans l’impasse depuis plus d'un an. Elle s'est abîmée dans les méandres de la politique libanaise. Plusieurs suspects, parmi lesquels des ministres et d'anciens Premiers ministres, ont échappé aux interrogatoires et ont contre-attaqué l'enquêteur principal, Tarek Bitar.
Le Courant patriotique libre, le Hezbollah et le mouvement Amal font tous pression pour que Bitar soit démis de ses fonctions afin de forcer la libération des suspects qui sont maintenus en détention. On compte parmi eux Badri Daher, l’ancien directeur des douanes.
Jeudi dernier, des familles se sont rassemblées devant le Palais de justice de Beyrouth alors que des membres du Conseil supérieur de la magistrature tentaient d'imposer le remplacement de Bitar. La motion a toutefois échoué après que deux juges, dont le président du conseil, Souhail Abboud, ont refusé d'y assister.
William Noun, frère d'une victime et porte-parole des familles, a remercié «les juges qui ont bloqué le quorum». Il a déclaré: «Nous n'avons pas de problème avec les juges ou le tribunal, mais avec ceux qui tentent d'entraver l'enquête. Ceux qui sont morts dans l'explosion ne sont pas des numéros et le tribunal représente la justice.»
Le député Melhem Khalaf, ancien président de l'Association du barreau de Beyrouth, a déclaré à Arab News que la tentative pour remplacer Bitar visait à «embrouiller le crime du siècle et se retourner contre la justice, le système judiciaire et la loi».
La manifestation s’est déroulée le lendemain du jour où des familles de victimes ont jeté des pierres sur le Palais de justice, brisant plusieurs fenêtres.
Plusieurs manifestants ont été convoqués pour être interrogés sur des accusations de vandalisme et de dégradation de biens publics. Cela a rendu le groupe encore plus furieux: ses membres ont déclaré qu'ils étaient traités «comme des criminels, alors qu'il s'agit de familles de victimes innocentes».
Khalaf a qualifié la convocation d’«acte suspect et injuste envers les familles des victimes qui sont déjà maltraitées», ajoutant: «Nous ne les laisserons pas capoter l'affaire et insulter les familles des victimes.»
De nombreux députés kataëb (qui appartiennent au mouvement des Phalanges libanaises, NDLR) et réformateurs, dont Sami Gemayel, Waddah Sadek, Elias Hankach et Michel Doueihy, ont rejoint la manifestation en solidarité avec les familles qui brandissaient des photos de leurs victimes.
Le député Hankach a lancé: «Il est honteux que les familles des victimes soient convoquées, alors que les personnes accusées du crime n'assistent pas à leurs audiences et se considèrent au-dessus de la loi. Ils défient le système judiciaire. Comment peuvent-ils demander aux familles des victimes de rester pacifiques?»
Le député Ghassan Hasbani, qui s'est joint à la manifestation de jeudi, a indiqué pour sa part: «Personne ne peut échapper au châtiment, quel que soit le temps que cela prend, car les ayants droit sont toujours plus puissants.»
L'explosion du port a été provoquée par 1 750 tonnes de nitrate d'ammonium et d'autres matières explosives stockées dans un entrepôt. Plus de deux cent trente personnes ont trouvé la mort et six mille cinq cents ont été blessées lors de l'explosion, qui a ravagé le front de mer de Beyrouth et les quartiers voisins.
Bitar avait cité à comparaître l'ancien Premier ministre Hassan Diab, ainsi que trois anciens ministres – Ali Hassan Khalil (Finances), Ghazi Zeaiter (Travaux publics) et Nohad Machnouk (Intérieur) – afin qu'ils soient poursuivis pour «homicide volontaire éventuel» et négligence.
Ils savaient tous que le nitrate d'ammonium était stocké dans des conditions dangereuses, mais n'ont rien fait pour y remédier.
Amnesty International a déclaré jeudi qu'il était «absurde» que personne n'ait été tenu pour responsable, plus de deux ans après la catastrophe.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com