Un an avant la tuerie anti-Kurdes à Paris, la violente expédition du suspect contre un camp de migrants

Un homme est assis près d'un portrait d'une des victimes de la fusillade de la rue Enghien à Paris le 23 décembre 2022 (Photo, AFP).
Un homme est assis près d'un portrait d'une des victimes de la fusillade de la rue Enghien à Paris le 23 décembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 28 décembre 2022

Un an avant la tuerie anti-Kurdes à Paris, la violente expédition du suspect contre un camp de migrants

  • Le sexagénaire au profil trouble est déjà connu de la justice
  • Il lacère plusieurs tentes et blesse deux migrants, dont l'un grièvement, avant d'être maîtrisé par d'autres occupants du campement

PARIS: Sa détestation "pathologique" des étrangers avait déjà guidé ses pas: accusé d'avoir tué trois Kurdes vendredi à Paris, William Mallet est aussi soupçonné d'une attaque au sabre contre un camp de migrants en décembre 2021, dont le traitement policier a scandalisé des ONG.

Quand se produit l'attaque dans le XIIe arrondissement de Paris, le sexagénaire au profil trouble est déjà connu de la justice. Condamné en 2017 pour détention prohibée d'armes, il était également au moment des faits mis en examen pour l'agression au couteau de ses cambrioleurs en 2016 qui lui vaudra une peine de douze mois de prison avec sursis dont il a fait appel.

Le 8 décembre au matin, c'est armé d'un long sabre qu'il fait irruption dans les jardins de Bercy où des migrants en mal d'hébergement ont établi leur campement.

"C'était un parc où on avait installé des familles exilées et comme à chaque fois le campement avait grossi", se souvient Nikolaï Pozner, de l'association Utopia56. "Des hommes seuls s'étaient installés un peu plus loin en pensant que la présence de familles leur apporterait une forme de sécurité".

C'est toutefois à eux que William Mallet s'attaque ce matin-là. Il lacère plusieurs tentes et blesse deux migrants, dont l'un grièvement, avant d'être maîtrisé par d'autres occupants du campement.

"Il avait fait semblant de faire son footing et d’un coup avait sorti un sabre et lacéré des tentes. A travers les tentes, il a touché plusieurs personnes et s’en est pris à une personne qui faisait pipi debout, l’a frappée au dos et à la hanche", raconte à l'AFP Cloé Chastel qui était alors une responsable de l'association Aurore.

Une telle agression était rarissime. "Il peut y avoir des rixes entre réfugiés vu leurs conditions de vie, mais on n'avait jamais vu quelqu'un venant de l’extérieur faire une chose pareille", affirme à l'AFP Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris en charge des réfugiés.

Peu après l'attaque, les forces de l'ordre interviennent et arrêtent l'assaillant et quatre migrants, dont l'un des blessés. Tous seront placés en garde à vue pendant quarante-huit heures.

"Dans un premier temps, on peut comprendre qu'il fallait interpeller les personnes qui participaient à ce qui ressemblait à une rixe, mais il a manqué le deuxième temps où on essaye de comprendre", estime M. Pozner, affirmant que les migrants n'ont été assistés d'aucun interprète.

Emoi 

Le parquet va, lui, changer son analyse. Si l'enquête préliminaire est ouverte le jour des faits pour "tentative d'homicide volontaire", l'information judiciaire qui lui succède deux jours plus tard vise des "violences avec arme, préméditation et à caractère raciste".

C'est sous ce chef de poursuites, moins grave, que William Mallet est mis en examen le 10 décembre et placé en détention provisoire.

Les quatre migrants arrêtés à ses côtés sont placés sous le statut intermédiaire de témoin assisté et l'un d'eux, un Marocain sans-papiers, se voit alors notifier une obligation de quitter le territoire français, au grand dam des ONG.

Un autre épisode va provoquer leur émoi. Le lendemain de l'attaque, des associatifs se rassemblent au parc de Bercy en soutien aux migrants encore traumatisés. Ils voient alors arriver les forces de l'ordre qui les encerclent et vont verbaliser plusieurs d'entre eux pour "participation à une manifestation interdite sur la voie publique". "Dès lors que l'autorité administrative constate que la présence d'un ressortissant étranger est irrégulière, une OQTF (obligation de quitter le territoire français, NDLR) est automatiquement délivrée en application du droit en vigueur", a-t-on commenté de source policière.

"La réponse à laquelle on s’attendait, un peu naïvement, c'était qu’on nous envoie des travailleurs sociaux, des psychologues et on nous a envoyé des policiers", dit à l'AFP Paul Alauzy, de Médecins du Monde, qui était sur place ce soir-là et a été conduit, "sirène hurlante", au commissariat dont il a été relâché une heure après.

Un an plus tard, les investigations sur cette attaque "sont toujours en cours", indique à l'AFP une source judiciaire, mais son auteur présumé est désormais mis en cause pour un triple meurtre.

C'est à l'expiration du délai maximal de sa détention provisoire qu'il avait été remis en liberté, le 12 décembre, sous contrôle judiciaire, avec notamment l'interdiction de détenir une arme.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
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  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
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  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
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  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.