PARIS Fermetures de magasins et suppressions d'emplois chez Fauchon comme au Printemps : la crise sanitaire fait aussi flancher certains commerces spécialisés dans les produits haut de gamme, soulignant la fragilité de ceux qui n'ont parfois pas suffisamment pris le virage du numérique.
Avoir pignon sur rue n'a pas suffi à lui garantir un avenir : « après 73 ans d'activité, la Maroquinerie Parisienne fermera ses portes définitivement à la fin de l'année », indique un bref message publié sur le site de cette institution du IXe arrondissement de Paris, et spécialisée dans les accessoires haut de gamme.
Et il ne s'agit pas de la seule victime de renom de la crise sanitaire.
Le célèbre traiteur Fauchon va fermer ses deux boutiques emblématiques de la place de la Madeleine, laissant 77 salariés sur le carreau. La semaine dernière, le Printemps a également fait part de sa volonté de fermer plusieurs grands magasins dans différentes villes, ce qui menace 450 emplois.
Ces grands noms du commerce ont été frappés par une succession de crises: attentats de 2015, mouvement des « gilets jaunes », grèves. La crise sanitaire, qui a tari les flux touristiques et réduit la fréquentation des magasins, leur a asséné le coup de grâce.
« Le Covid ne fait que révéler d'éventuelles fragilités du modèle », explique à l'AFP Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po Paris et spécialiste du luxe. Les enseignes qui dépendent de magasins physiques ont une « structure de charge extrêmement lourde et pesante », précise-t-il en évoquant notamment les loyers.
« Au sein d'un groupe, on est dans une logique de limiter les coûts, les pertes, la viabilité est moins remise en cause, alors que pour une maison indépendante, sa vie même est en jeu », détaille le spécialiste.
Résistance numérique
La crise sanitaire est d'une telle ampleur que même les groupes de luxe les plus robustes sont secoués.
Les fleurons français LVMH, Kering et Hermès ont vu leur revenu s'écrouler au deuxième trimestre, avant de redresser la barre au trimestre suivant, notamment grâce au dynamisme de l'Asie, où l'épidémie semble mieux maîtrisée.
Au Royaume-Uni, autre destination shopping prisée des touristes fortunés, les bénéfices de Burberry ont été laminés. Les grands magasins Selfridges et Harrods, dont l'activité a plongé, comptent supprimer respectivement 450 et 700 emplois.
Aux Etats-Unis, la pandémie a achevé plusieurs chaînes haut de gamme dont Neiman Marcus.
« Les entreprises qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont commencé la transformation +digitale+ il y a longtemps et celles qui ont évolué vers un modèle de +marketplace+ », mettant en relation acheteurs et vendeurs, détaille à l'AFP Audrey Depraeter-Montacel, directrice luxe et beauté chez Accenture.
Appétit pour le web intensifié
Avant la pandémie, les ventes en ligne ne représentaient toutefois qu'une faible part du chiffre d'affaires des marques de luxe.
« Les investissements dans le numérique de ces dix dernières années ont coûté beaucoup pour un retour sur investissement relativement bas, ce sont les grands groupes qui ont pu les faire, les plus petits n'ont pas la trésorerie suffisante », décrypte Mme Depraeter-Montacel.
Il est également moins évident pour les acteurs de taille modeste de profiter à présent de l'envolée des ventes en ligne dans le contexte de la pandémie. « Les grands groupes sont mieux armés pour répondre à cette croissance soudaine, ils peuvent mettre des moyens, transférer des ressources », selon l'experte du luxe.
Cette crise, qui peut encore se traduire par d'autres fermetures de magasins prestigieux, voire de faillites, a aussi renforcé l'appétence des marques haut de gamme pour le numérique.
Certaines veulent développer leurs ventes en ligne, alors qu'elles étaient encore récemment hostiles à cette idée afin de préserver leur côté exclusif.
Dans ce contexte, de nouveaux rapprochements pourraient avoir lieu, à l'instar de celui entre le géant suisse du luxe Richemont et le portail de mode Farfetch, qui distribue des marques de créateurs.
« La situation est bien évidemment tendue, mais c'est aussi un moment d'adaptation et d'innovation qui peut, sur le long terme, être plutôt positif », estime M. Carreira.