ERBIL: "Duperie" ou abandon d'une règle religieuse? L'abolition de la police des mœurs par Téhéran a reçu dimanche un accueil mitigé chez des Kurdes d'Iran, réfugiés dans le nord de l'Irak, et chez des pèlerins iraniens, de passage dans le sud.
Alors que la République islamique est secouée depuis plus de deux mois par des manifestations qui ne faiblissent pas, le procureur général Mohammad Jafar Montazeri a annoncé samedi soir l'abolition de la police des mœurs, selon l'agence de presse Isna.
C'est cet organe qui avait arrêté le 13 septembre à Téhéran Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, en l'accusant de ne pas respecter le code vestimentaire de la République islamique, qui impose aux femmes le port du voile en public.
Sa mort en détention trois jours plus tard a déclenché les manifestations et sur les réseaux sociaux ont déferlé des vidéos montrant des femmes, fer de lance de la contestation, enlevant et brûlant leur foulard, en criant "Femme, vie, liberté".
L'annonce de Téhéran, interprétée comme un geste envers les manifestants, a suscité cependant la colère de Kurdes iraniens réfugiés au Kurdistan irakien (nord) depuis des décennies, certains en raison de leur opposition au régime iranien.
«Élimination du régime»
"Le slogan des manifestants, ce n'est pas la dissolution de la police des mœurs", assène Nachmil Abdi, vendeuse dans une boutique de chaussures pour femmes.
"La vraie demande, c'est l'élimination du régime", fustige la trentenaire arborant un chignon sage.
De son côté, la journaliste Soma Hakimzada, âgée de 32 ans, estime qu'avec cette mesure, "l'Iran a recours à la duperie".
"Je ne pense pas que les femmes apprécient cette annonce iranienne", accuse cette militante d'un parti de l'opposition kurde iranienne, née au Kurdistan irakien après que ses parents ont fui l'Iran.
Elle espère que cette annonce ne va pas "mettre un frein aux manifestations".
La répression des manifestations s'est traduite par l'arrestation de quelque 14.000 personnes, selon l'ONU. Les autorités iraniennes ont par ailleurs fait état de la mort de plus 300 personnes.
À Najaf, ville sainte chiite du sud de l'Irak, rares sont les pèlerins iraniens qui acceptent de parler politique.
"Si on veut avoir une police des mœurs, ça doit se faire par des paroles douces", plaide Wahid Sarabi, venu de la ville de Hamedan, dans l'ouest de l'Iran. Sinon, dit-il, "ils risquent de détester la religion".
"En Islam, il y a un principe qui s'appelle +ordonner le bien et empêcher le mal+", poursuit-il. "Cela doit se faire en guidant (les gens), pas par la coercition, ni en frappant ou en insultant", déplore l'homme à la barbe noire soigneusement taillée.
Younis Radoui, Iranien de 36 ans originaire de Machhad, laisse aux "spécialistes" le soin de parler de la police des mœurs.
Mais il estime toutefois que "la loi en République islamique impose le respect du hijab. Et donc tous les citoyens doivent respecter la loi et le hijab".