PARIS : Unisexe, graphique et facile à porter: le kimono, souvent perçu comme un costume traditionnel japonais immuable, s'expose à Paris dans son dynamisme qui a influencé le style vestimentaire occidental et continue d'inspirer les créateurs du monde entier.
"C'est un vêtement qui a une place unique dans l'histoire de la mode", déclare à l'AFP Anna Jackson, responsable du département Asie au musée Victoria and Albert à Londres et commissaire de l'exposition "Kimono", qui ouvre mardi au musée du quai Branly à Paris.
Avec près de 200 kimonos, certains datant de l'époque Edo au XVIIe siècle, et tenues qu'il a inspirées à John Galliano pour Dior ou Alexander McQueen, l'exposition s'attaque aux idées reçues selon lesquelles ce vêtement historique est figé et "la mode est une invention européenne".
"Le kimono interpelle sur plusieurs niveaux: il est décoratif, belles matières, beaux motifs. Le Japon est un pays avec une culture étonnante et avancé technologiquement: il y une connotation de luxe. C'est élégant et facile à porter", souligne Anna Jackson.
"Vous pouvez le traduire, le transformer et porter de façons différentes. C'est très individuel".
Acteurs du kabuki, influenceurs d'antan
Sur un paravent du XVIIe siècle, on observe une fête sur une barge avec des convives qui mangent et qui dansent habillés en kimonos somptueux: c'est la quintessence de l'époque Edo (1603-1868), qui survient après des années de guerres civiles et marquée par une croissance économique, expansion urbaine et soif de loisirs.
Les samouraïs, ces représentants de l'aristocratie militaire, soignent leur look en ville. Mais ce sont les tenues des courtisanes et des acteurs du théâtre kabuki, copiées par la classe marchande, qui favorisent l’extraordinaire développement des kimonos.
A l'orée du XVIIIe siècle, à Edo, actuelle Tokyo, règne une bouillonnante culture entremêlant divertissements, glamour et érotisme. La mode s'épanouit.
"Quand on dit mode, on pense aux gens avec un peu d'argent qui demandent des styles dernier cri, quelque chose de nouveau et de différent, menés par les célébrités et les stars pop. C'est exactement ce qui s'est passé au Japon pendant cette période", souligne Anna Jackson.
Après avoir vu un motif sur le kimono d'un acteur du théâtre populaire kabuki, des spectateurs tentaient ainsi d'avoir le même, ne serait-ce que sur un mouchoir.
Fluidité du genre
Au début du XXe siècle, les formes droites et le drapé du kimono commencent à influencer profondément les stylistes européens.
En forme de T, le kimono ne suit pas les courbes du corps et ne tient pas compte des différences anatomiques entre hommes et femmes, contrairement aux habits occidentaux.
Pour fermer un kimono, on entoure la taille d'une large ceinture obi, plus au moins rigide qui contraint la démarche des femmes. Un imaginaire exploité par les couturiers comme Jean Paul Gaultier, qui a par exemple fusionné corset et obi.
"En s'affranchissant du kimono à l'époque moderne, les Japonaises ont gagné en liberté (...), c'était un geste d'émancipation. Au même moment, les Occidentales commencent à l'adopter", souligne Aurélie Samuel, ex-directrice des collections du musée Saint-Laurent dans le catalogue de l'exposition.
En 1997, Björk pose en kimono pour la couverture de son album Homogenic. Freddie Mercury porte des kimonos sur scène, mais aussi dans l'intimité.
Au Japon, le port du kimono connaît "un déclin spectaculaire" après les années 50, devenant réservé aux femmes gardiennes de la tradition et aux cérémonies. Mais la mode est revenue ces dernières décennies sous l'impulsion de jeunes Japonais qui rejettent la culture "fast fashion" occidentale, souligne Anna Jackson.
Le kimono se vend dans des boutiques vintage, se loue ou s'achète dans ses versions modernes. Et il ne faut pas avoir peur d'être accusé d'appropriation culturelle.
"Les jeunes stylistes japonais veulent que tout le monde le porte. Ils veulent que le secteur survive", conclut Anna Jackson.