MARSEILLE: Avec seulement neuf bibliothèques pour près de 900 000 habitants, la lecture est devenue à Marseille, deuxième ville de France, un luxe que seules les associations, dans certains quartiers défavorisés, rendent encore accessible.
Le mal n'est pas nouveau mais le manque de personnel a atteint récemment un niveau critique.
Deux bibliothèques du centre-ville ont ainsi dû rester fermées plusieurs mois entre 2020 et 2022 et l'Alcazar, navire amiral du réseau avec ses 18 000 m2 à deux pas du Vieux-Port, n'ouvre plus que les après-midi.
La situation est d'autant plus catastrophique, soulignent les associations, que Marseille est la plus pauvre des grandes villes françaises, avec un taux de pauvreté proche des 25%, qui dépasse même les 50% dans certains quartiers.
En tout, la ville ne dispose que de 25 000 m2 de bibliothèques municipales, soit 0,03 m2 par habitant, trois fois moins que Lyon (0,1 m2 par habitant) et ses 16 bibliothèques.
"On ne dira jamais assez le caractère catastrophique de l'affaire", insiste Alain Milianti, vice-président de l'association des usagers des bibliothèques de Marseille. "Dans une ville marquée par la pauvreté, il y a des pans entiers de la population qui ont un besoin vital d'accès à ces lieux de vie".
Parmi les arrondissements dépourvus de bibliothèques figurent en grande partie les plus pauvres.
Par ailleurs, "une partie des utilisateurs sont des jeunes qui n'ont pas de lieu de travail chez eux", ajoute José Roze, président de l'association des usagers.
«Décrue continue»
Dans un rapport rendu en juin, l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) constate un "état dégradé du réseau, dont la situation a encore empiré" depuis 10 ans, en raison notamment d'une "décrue continue" des effectifs (-31%) de 2014 à 2021.
"Marseille dépense trois fois moins que Lyon pour la masse salariale des personnels des bibliothèques", relève-t-elle.
"J'étais dans les écoles, j'ai été reclassée, le travail est intéressant mais je sature, il y a trop de choses qui ne vont pas", témoigne anonymement une agente travaillant à la bibliothèque du Merlan, dans un quartier défavorisé où les agents se sentent "un peu abandonnés".
"Dès qu'on veut faire quelque chose, on nous dit qu'il n'y a pas le budget", poursuit-elle.
Dans les bibliothèques marseillaises, il manque "90 postes au moins pour revenir à un fonctionnement normal des services existants", selon l'Inspection de l'Education.
La nouvelle municipalité de gauche, arrivée au pouvoir en 2020, espère "rattraper bon nombre de ce déficit pour que les neuf bibliothèques soient ouvertes et dans des horaires qui correspondent aux besoins", assure Jean-Marc Coppola, l'adjoint à la culture.
Il promet aussi "un plan de rénovation des bibliothèques" avec un démarrage des travaux au printemps 2023.
En outre, depuis 2020, une trentaine d'agents ont été recrutés, affirme M. Coppola, mais "il faut trouver des gens qualifiés".
Au pied des immeubles
Conséquence des carences du réseau: en 2019, les emprunteurs actifs représentaient 5,15% de la population marseillaise, "soit le taux le plus faible de toutes les villes de plus de 100 000 habitants" en France, d'après l'IGESR.
"Quand il n'y a pas de proximité, il n'y a pas d'usage", se désole M. Roze. Or, "à partir du moment où il faut trois quarts d'heure ou une heure pour se rendre en centre-ville (qui concentre l'essentiel de l'offre en bibliothèques, NDLR), on ne vient pas".
Palliant les défaillances du service public, deux réseaux associatifs ont "pris une ampleur inédite en France", notamment dans les quartiers paupérisés.
L'Acelem anime ainsi sept espaces lecture au pied des immeubles et oeuvre depuis bientôt trente ans pour "amener le livre au plus près des habitants des quartiers qui n'avaient pas accès au réseau de lecture publique", raconte Chrystine Bernard, coordinatrice de ces espaces.
L'objectif est "de faire passerelle" pour amener les gens des quartiers "vers le réseau de lecture publique" avec lequel l'Acelem collabore.
Pour autant, "rien n'oblige une municipalité à ouvrir des bibliothèques malheureusement", regrette-t-elle.