PARIS : Impopulaire, et alors ? Encalminé dans un contexte épidémique, économique et social difficile, Jean Castex assure ne faire que peu de cas des critiques à son égard, assumant ainsi pleinement un rôle de paratonnerre, déjà bien éprouvé, pour Emmanuel Macron.
Ereinté par les enquêtes d'opinion, qui relatent semaine après semaine l’inexorable décrochage de sa cote, M. Castex a balayé de lui-même jeudi tout état d'âme en épilogue de son point-presse sur la situation épidémique : "La seule courbe qui m'intéresse, c'est celle des malades admis à l'hôpital ou en réanimation", a-t-il lancé, tout en disant ne "rien ignorer des polémiques et des contestations".
Homme du déconfinement au printemps, sous l'égide d'Edouard Philippe, devenu celui du reconfinement à l'automne, M. Castex s'est fait le messager des mauvaises nouvelles et des arbitrages douloureux, concentrant ainsi la foudre des récriminations.
Conséquence : alors qu'il recueillait par exemple la confiance de 43% des sondés par Elabe lors de sa nomination, il végète désormais à 26%. Au point de même devenir minoritaire parmi les électeurs d'Emmanuel Macron.
S'il affirme ne pas se soucier des coups reçus, il a tout de même tenu à remercier lundi soir les ténors de la majorité, réunis en visioconférence, "du soutien manifesté publiquement au moment où il en prend plein la tête", selon un participant.
" Ca ne le fait pas varier d'être impopulaire mais il apprécie le soutien", ajoute le même, soulignant la nécessité de "réussir les dix jours qui viennent sans regarder les courbes de popularité, ce que Jean Castex fait assez bien". "Il a intériorisé qu'il n'était pas là pour plaire mais pour faire. Je me demande s'il n'en fait pas une marque de fabrique", insiste-t-il.
Cette impassibilité revendiquée est aussi le corollaire de la nomination à Matignon de ce haut-fonctionnaire méconnu, issu de la droite mais sans réelle existence politique préalable, qui tranche avec un prédécesseur qui avait pris de l'épaisseur durant ses trois années en poste.
Propulsé de manière inattendue à la tête du gouvernement, M. Castex a "une grande force: c'est qu'il n'a pas de calendrier personnel, il a gagné au loto en étant là", martèle un ami.
En somme, un paratonnerre idéal pour Emmanuel Macron sur la route d'une réélection en 2022.
"Le gouvernement encaisse"
La stratégie semble d'ailleurs fonctionner : après avoir couru derrière celle d'Edouard Philippe au printemps, M. Macron voit désormais sa courbe de popularité surpasser celle de son Premier ministre.
"Macron haut, c'est très bien. Le président protège la nation du terrorisme, et le gouvernement encaisse, c'est bien comme ça", résume un ministre.
Cependant, Jean Castex n'est-il pas victime d'usure prématurée, quatre mois seulement après sa nomination, alors que certains au sein-même de sa majorité spéculent déjà sur un remplacement l'an prochain, peut-être à l'issue des élections régionales attendues en juin ?
"Tous ceux qui pensent qu'on va réussir en faisant échouer Jean se trompent", avertit en retour un ministre.
"L'impopularité n'aide pas : elle entrave les réformes, elle rend les majorités plus frondeuses et les rapports avec les oppositions plus âpres", pointe le sondeur Emmanuel Rivière, dont l'institut (Kantar, ex-TNS-Sofres) analyse depuis 1976 les cotes de confiance au sein de l'exécutif. "Mais Jean-Pierre Raffarin (à Matignon de 2003 à 2005, ndlr) a tenu malgré son impopularité, enjambant même une importante défaite aux régionales en 2004", souligne encore M. Rivière, "personnellement sceptique sur la perspective d'un changement à Matignon l'année prochaine".
Au sein du gouvernement, on regarde aussi avec un œil mi-goguenard, mi-inquiet les rivalités de coulisses entre le locataire de Matignon et son ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
"J'ai déjà vécu cela avec Edouard Philippe, lorsque Bruno Le Maire disait qu'il ne faisait plus la maille (plus l'affaire, ndlr)", soupire une ministre.
Enfin, des doutes sur son autorité sont aussi nés de récents couacs, entre prises de position ministérielles contradictoires et faux-pas de la majorité à l'Assemblée. De quoi faire tourner à plein régime l'essoreuse de Matignon.