PARIS: L’année 2022 représente un tournant dans l’histoire contemporaine du Sahel. L’instabilité en a été le fait marquant, avec le retrait militaire français de Mali, les troubles chroniques au Tchad, le coup d’État au Burkina Faso, la persistance de la menace terroriste, l’effritement des États, la poursuite des campagnes antifrançaises et la percée de la Russie.
Effets des tensions géopolitiques
Les pays du Sahel, affectés par le changement climatique, la montée du terrorisme et l’érosion de structures étatiques fragiles, subissent pleinement l’impact de la guerre d’Ukraine avec, notamment, les chocs alimentaires et énergétiques qu’elle a provoqués.
Ces données accentuent la tentation de l’instrumentalisation des pays et des populations du Sahel par des acteurs internationaux. Si cette région a été le théâtre de rivalités extérieures bien avant l’avènement de la guerre d’Ukraine, le vent de l’Est fait bouger les lignes de plus en plus, en particulier avec l’implantation du groupe russe Wagner. Ce dernier agit comme un bouclier pour les nouveaux personnages au pouvoir, en l’occurrence les militaires du Mali et du Burkina Faso.
Sans doute cette instabilité géopolitique menace-t-elle une unité sahélienne cristallisée depuis la décolonisation et institutionnalisée en 2014 avec la naissance, sous l’influence de la France, du G5 (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger), destiné à lutter contre la montée du terrorisme.
Cependant, le coup d’État à Bamako et le retrait du Mali du G5 mettait pratiquement un terme à cette expérience. Ainsi, dans ce Sahel soumis à rude épreuve, les colonels reviennent sur le devant de la scène en cultivant la contestation contre la France, l’ex-puissance coloniale, décrétant que l’heure des comptes avec Paris avait sonné tout en s’appuyant sur le groupe Wagner, qui représente les intérêts de la Russie.
Retour des putschistes
Le bilan de l’action militaire française au Sahel, ces neuf dernières années, est mitigé. Même si l'opération Barkhane, qui, en 2013, a succédé à l'opération Serval, a obtenu de beaux succès tactiques en éliminant de nombreux chefs djihadistes et en entravant la marge de manœuvre des groupes armés, les revendications régionalistes et partisanes (cas des Touaregs) ont envenimé la situation et entraîné le chaos. De fait, l'État malien n'a jamais transformé l'essai en apportant des réponses politiques. Cela a conduit à l’intensification de la violence et à la montée du sentiment antifrançais.
Par la suite, le désordre en Afrique de l’Ouest a produit des coups d’État ces deux dernières années: au Mali (en août 2020 et en mai 2021), au Tchad (putsch avorté en avril 2021), en Guinée (en septembre 2021) et au Burkina Faso (en janvier 2022, puis en septembre-octobre 2022).
Au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, les putschistes (tous des colonels et des capitaines) ont été acclamés par une partie de la population, notamment dans les capitales, et certains ont même été érigés en hérauts d’un nouveau panafricanisme.
Certes, la prise du pouvoir par les militaires apparaissait comme le fruit d'une forte désillusion démocratique. Mais elle s’explique comme une réaction à la désintégration de l’État ou encore par le fait qu’elle soit influencée par des facteurs extérieurs.
Le facteur Wagner en Afrique
Sur un continent riche de ressources naturelles, avec ses immenses réserves de minerais et son jeune potentiel humain, la compétition internationale bat son plein et la France se trouve affaiblie, notamment dans son carré d’influence historique au Sahel.
La présence du groupe Wagner s’est d’abord manifestée en République centrafricaine, devenue un modèle de présence bénéfique à travers la promotion d'un contrôle sécuritaire implacable accompagné d’un remplacement de la France dans la formation de l'armée et des forces de l’ordre – en échange d'un partage de l'extraction de diamants, d'or et d'autres minerais (la France dépend de l’uranium au Niger, devenu le pays pilote de Barkhane).
Notons que le groupe Wagner est bien présent dans de nombreux pays africains, dont la Libye, l'Angola, la Guinée, le Mozambique, l'Afrique du Sud et le Congo. Le cas Wagner est typique. Il est fondé par l’homme d’affaires Evgueni Prigojine; après que ce dernier a opéré dans la clandestinité pendant des années, la guerre en Ukraine a changé la donne et Wagner s’est imposé comme une force paramilitaire bien présente, véritable bras armé de Moscou.
L’impasse de l’instabilité chronique
Avec les actions militaires menées à Bamako et à Ouagadougou ainsi que les attaques terroristes qui ont frappé le Niger et dans toute la sous-région, le Tchad est marqué par des troubles liés aux luttes pour le pouvoir, après l’élimination «suspecte» d’Idriss Déby au cours du printemps 2021 et la montée contestée de son fils.
Sur le plan de la lutte antiterroriste, les défis sont multiples avec la persistance de menaces venues des sections régionales d’Al-Qaïda et de Daech. En outre, on assiste à une guerre intestine entre deux chefs «djihadistes»: Iyad Ag Ghali, fondateur et chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM); et Abou al-Bara al-Sahraoui, chef de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Cette sous-guerre entre les deux principales nébuleuses djihadistes complique la lutte antiterroriste et montre combien il est difficile de mener cette guerre sans la neutralisation ou la négociation avec les groupes rebelles et claniques qui se détachent des entreprises terroristes.
En conclusion, les récents développements accentuent le désordre et pèsent sur une sous-région qui souffre de pauvreté et d’absence de gouvernance et victime de la compétition internationale. Dans ce cadre, il n’est pas certain que le recul de l’influence française soit une bonne nouvelle.