PARIS: Le prix Goncourt 2022, remis jeudi, sera forcément celui du renouveau, en sacrant soit un ou une trentenaire, soit l'auteur d'un premier roman, soit une romancière qui restait peu connue du grand public.
Les dix jurés du plus prestigieux des prix littéraires français, sept hommes et trois femmes, rendent leur verdict à la mi-journée.
Le rituel est le même depuis plus d'un siècle: un déjeuner au restaurant Drouant à Paris, pour décider qui a écrit le meilleur roman français de l'année.
La sélection a été resserrée à quatre auteurs: deux Françaises, Brigitte Giraud et Cloé Korman, un Italo-Suisse, Giuliano da Empoli, et un Haïtien, Makenzy Orcel.
Alors qu'en 2021 beaucoup anticipaient la victoire du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, les pronostics sont plus difficiles cette année.
Giuliano da Empoli, 49 ans, qui a publié en avril "Le Mage du Kremlin" (éditions Gallimard), a la faveur des journalistes littéraires interrogés par le magazine spécialisé Livres Hebdo: ils sont huit sur douze à parier pour lui.
L'histoire semblait écrite avant qu'il n'obtienne le Grand Prix du roman de l'Académie française: ce roman qui parle de la Russie des 30 dernières années, et en particulier du président Vladimir Poutine, allait être sacré.
Enjeu économique
Mais réussir le doublé est rare. N'y sont parvenus que l'Américain Jonathan Littell, en 2006 avec sa fresque sur un officier SS, "Les Bienveillantes", et l'un des jurés actuels, Patrick Rambaud, en 1997 avec "La Bataille", sur une bataille napoléonienne.
Par ailleurs, une "jurisprudence Decoin", du nom du président de l'Académie Goncourt Didier Decoin, veut qu'un même livre n'obtienne pas deux prix d'automne différents.
Juste avant de remettre le Goncourt 2021, celui-ci avait expliqué à l'AFP: "Il ne faut pas oublier nos amis et alliés que sont les libraires. Si on donne deux prix à un seul livre, ça ne fait qu'un livre dans la vitrine".
Les prix littéraires, qui inspirent souvent les Français souhaitant découvrir ou offrir un roman en cette fin d'année, sont un enjeu économique crucial.
Le Goncourt garantit des ventes en centaines de milliers. "Le Mage du Kremlin", après des critiques très favorables et plus de six mois en librairie, est en train seulement d'atteindre la barre des 100 000 exemplaires. Et ses trois rivaux parus en août en sont loin.
Toujours d'après les journalistes littéraires, la concurrente la plus sérieuse, si M. da Empoli devait être battu, est Brigitte Giraud, 56 ans.
"Vivre vite" (Flammarion), qui revient sur l'engrenage d'événements improbables ayant mené à la mort de son mari dans un accident de moto en 1999, a beaucoup touché certains jurés.
Cloé Korman et Makenzy Orcel, s'ils ne partent pas favoris, pourraient mettre tout le monde d'accord.
Renaudot juste après
La première, à 38 ans, signe une enquête sur des enfants victimes de la Shoah, "Les presque sœurs" (Seuil).
Trois rescapées de l'Holocauste sur le témoignage desquelles se fonde le récit ont cependant protesté. D'après leurs témoignages à plusieurs médias, le livre contient des inexactitudes et indiscrétions sur leur vie.
Même si elles n'ont pas prévu d'intenter de procès, la révélation de leur mécontentement dans les jours précédant le prix risque de peser.
Enfin, pour la deuxième année consécutive, un Haïtien s'est hissé en finale. Après Louis-Philippe Dalembert en 2021, c'est cette fois-ci Makenzy Orcel, 39 ans.
"Une somme humaine" (Rivages) est un monologue venu d'outre-tombe, d'une jeune femme française, qui confirme le talent d'un écrivain prolifique mais méconnu jusqu'ici.
La récompense s'accompagne d'un chèque de dix euros, que les bénéficiaires préfèrent encadrer plutôt que déposer à la banque.
Comme le veut la tradition, le prix Renaudot est remis juste après le Goncourt, dans le même restaurant du quartier de l'Opéra à Paris.
Il compte six finalistes pour le roman: Sandrine Collette, Nathan Devers, Sibylle Grimbert, Claudie Hunzinger, Simon Liberati et Christophe Ono-dit-Biot.