BANGKOK: Ils sont entre 52 et 59 Ouïghours oubliés dans des centres de rétention de Thaïlande. Dans leur fuite de Chine où ils sont persécutés, ils ont échoué en cellule, certains depuis près d'une décennie, où "personne ne fait attention à eux".
"C'est un dilemme pour les autorités" de Bangkok, prises en tenaille entre la Chine et les Etats-Unis, leurs partenaires en désaccord sur ce dossier, souligne Zakee Phithakkumpol, sénateur thaïlandais. Il exhorte la communauté internationale à "donner une impulsion."
Car 52 Ouïghours, selon des ONG, 59, selon le sénateur, arrêtés en Thaïlande pour la plupart en 2013 et 2014, vivent depuis plusieurs années dans des centres destinés aux migrants illégaux en attente d'expulsion.
Ils font partie de la minorité musulmane des Ouïghours, cible en Chine d'un "génocide" selon les Etats-Unis -- une accusation que conteste Pékin, soupçonné d'interner dans des "camps" au moins un million de personnes.
En Thaïlande, ni leur nombre, ni l'endroit où ils sont détenus ne sont clairs, le service thaïlandais de l'immigration n'ayant pas donné suite aux demandes de l'AFP.
"Ils sont considérés comme une menace pour la sécurité du pays. Personne n'a de réponse sur le temps qu'ils vont rester là-bas", estime Chalida Tajaroensuk, à la tête d'une association de défense de droits humains (PEF).
«Rien pour eux»
L'une des dernières communications officielles remonte à juillet 2015 quand le gouvernement thaïlandais a confirmé avoir renvoyé en Chine "une centaine" de réfugiés ouïghours arrêtés un an auparavant.
Un mois plus tard, une bombe explosait dans le centre de Bangkok, tuant 20 personnes, un attentat attribué à un groupe pro-ouïghour en guise de représailles - le procès des deux principaux suspects doit reprendre mardi à Bangkok.
Environ 170 Ouïghours, peuple turcophone, ont aussi été redirigés à la même période vers la Turquie, l'un des principaux défenseurs de leur cause face à Pékin.
Mais d'autres sont restés.
En juillet, trois d'entre eux se sont évadés d'un centre de rétention de la province de Prachuap Khiri Khan (sud). Deux ont été retrouvés, selon Mme Tajoaroensuk.
"C'est quoi une vie dans ce genre de cellule de prison pendant presque dix ans ?", s'interroge le sénateur Zakee Phithakkumpol, l'un des responsables du Conseil central islamique, représente les 7 à 8 millions de musulmans de Thaïlande.
"Il y a des gens malades, des personnes âgées et des très jeunes. Ils sont battus par la police, ou par d'autres détenus, parce que personne ne fait attention à eux", assure Abdullah Sami, qui était en contact avec eux jusqu'à ces derniers mois.
Ce Ouïghour de 35 ans, qui a fui la Chine en 2013, a vécu deux ans et demi en Thaïlande, avant de trouver refuge en Autriche, où il travaille désormais dans un restaurant.
"Ils attendent de bonnes nouvelles, des Nations unies, de la Turquie ou d'autres grands pays. Je leur disais avec tristesse qu'il n'y avait rien pour eux", explique-t-il.
La Thaïlande, qui n'a pas signé la Convention de 1951 relative aux réfugiés et est régulièrement pointé du doigt pour sa politique de renvoi quasi systématique des réfugiés ou demandeurs d'asile, leur a fermé la porte.
"L'inhumanité de la Thaïlande (...) est absolument choquante. S'il y a un enfer sur terre, la Thaïlande l'a créé pour ces détenus ouïghours", a réagi Phil Robertson, directeur adjoint pour l'Asie pour l'ONG Human Rights Watch.
Bangkok inflexible
Où alors les renvoyer ?
Bangkok, hôte du prochain sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (Apec) en novembre, est face à un "dilemme", selon M. Phithakkumpol.
La Chine demande le retour de ses ressortissants. Mais lui répondre favorablement reviendrait à se mettre à dos les Etats-Unis.
La Thaïlande a l'habitude de naviguer dans des courants contraires, assure Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l'Université Chulalongkorn de Bangkok.
"Ces derniers temps, Bangkok a rééquilibré ses relations entre Washington et Pékin, plutôt en se rapprochant des Etats-Unis. Il y a moins de pression qu'avant pour les renvoyer en Chine", analyse-t-il.
Le royaume a rejoint le nouveau partenariat en Asie-Pacifique (IPEF) lancé par le président américain Joe Biden pour faire contrepoids à la Chine, qui a "perdu du terrain en raison de sa politique du zéro Covid", note-t-il.
Cet été, huit organisations thaïlandaises de défense des droits humains ont demandé à Bangkok de ne pas renvoyer ces réfugiés en Chine.
Contacté par l'AFP, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a indiqué que la position du royaume "restait la même", sans autres précisions.