PARIS: Une étude "inédite": en suivant pendant une semaine des chauffeurs de poids lourds au volant grâce à des caméras embarquées, les sociétés d'autoroutes ont découvert qu'ils passaient 9% de leur temps sur leur téléphone, dans un contexte de "dégradation" de la sécurité routière en 2022.
Commandée par l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) et réalisée par le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), cette étude publiée jeudi visait à déterminer avec exactitude l'usage du téléphone par les conducteurs de poids lourds, impliqués dans la moitié des accidents touchant le personnel autoroutier en intervention.
Pour ce faire, deux caméras ont été installées sur les camions de trois volontaires: l'une permettant de filmer l'intérieur de l'habitacle et de suivre en continu le comportement du chauffeur, la seconde à l'extérieur pour contextualiser la scène routière.
A la fin de cette étude réalisée en juillet, les observateurs du Cerema ont obtenu environ 50 heures de vidéo, prises de jour comme de nuit, qu'il leur restait à analyser.
Conclusion: "Le temps passé sur le téléphone par les trois chauffeurs représente en moyenne 9% de leur temps de conduite", s'alarme l'ASFA.
En moyenne, les conducteurs ont ainsi utilisé leur téléphone dix fois par heure alors qu'ils étaient au volant, pour une durée moyenne d'usage de 32 secondes.
La durée des phases pendant lesquelles les chauffeurs arrêtaient de regarder la route était de 2,4 secondes en moyenne, avec un maximum atteignant sept secondes, soit respectivement "60 et 175 mètres parcourus à 90 km/h", poursuit l'ASFA.
Point positif toutefois, "les trois conducteurs utilisent systématiquement la fonction kit main libre", note le Cerema dans un rapport, précisant que les conversations téléphoniques n'étaient pas prises en compte dans l'étude.
Réalisée sur un panel restreint, avec d'importantes disparités entre chauffeurs --la proportion de temps passé au téléphone varie de 5 à 15%-- qui se savaient par ailleurs filmés, l'étude a ses limites mais met "en évidence une habitude qui semble installée", selon le Cerema: "Les conducteurs semblent avoir intégré l'usage du téléphone à leur conduite".
Inattention au volant
Délégué général de l'ASFA, Christophe Boutin ne se dit pas réellement surpris par les résultats de cette étude.
Si "l'usage du téléphone est devenu tellement courant, tellement ancré dans les habitudes (...), on aurait pu espérer un meilleur comportement" des chauffeurs routiers, explique-t-il toutefois à l'AFP.
Une précédente étude en 2021 de l'ASFA --qui regroupe les concessionnaires privés gestionnaires de 9.180 des 12.000 kilomètres d'autoroutes françaises-- et du Cerema, fondée sur l'observation des conducteurs en immersion dans le trafic, avait conclu que 8% des automobilistes et 14% des chauffeurs de poids lourds tenaient leur téléphone en main en conduisant.
Cette année, l'étude intervient alors que "la sécurité routière s'est globalement dégradée", ajoute-t-il, évoquant "une certaine décompression à la suite de la crise sanitaire" et un "relâchement des comportements" observable partout en Europe.
En témoigne le nombre de morts recensés sur le réseau autoroutier français: 136 entre le 1er janvier et fin septembre 2022, contre 126 sur la même période en 2019, dernière année comparable en terme de trafic.
Christophe Boutin s'alarme aussi du danger que l'inattention au volant fait peser sur les "patrouilleurs", ces agents chargés de sécuriser les routes. Pour la première fois depuis 2017, deux sont morts cette année sur les autoroutes françaises.
Les accidents (corporels ou matériels) sont aussi en hausse, l'inattention étant la cause de près de 40% de ceux touchant le personnel autoroutier en intervention.
Et "les poids lourds sont surreprésentés dans des proportions très importantes" dans ces accidents, regrette Christophe Boutin, qui affirme qu'ils sont impliqués dans la moitié des cas alors qu'ils ne représentent que 15% du trafic.
Pas question pour autant de stigmatiser les chauffeurs de poids lourds, précise le délégué général de l'ASFA qui assure qu'ils sont, statistiquement, "un peu meilleurs conducteurs que la moyenne".
"C'est presque l'inverse: je leur suis reconnaissant d'avoir accepté de jouer les cobayes" pour cette étude, poursuit M. Boutin.