BERLIN : Les divergences accumulées entre Paris et Berlin ont conduit mercredi au report à janvier du Conseil des ministres franco-allemand prévu le 26 octobre à Fontainebleau, en France.
Après plusieurs fuites dans la presse européenne, le gouvernement allemand a officialisé mercredi le report de ce forum de dialogue important entre les deux capitales, à la veille d'un sommet crucial de l'Union européenne à Bruxelles.
"Il y a toute une série de sujets (...) où l'on n'est pas encore arrivé à une position commune", a justifié le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Hebestreit, questionné sur d'éventuelles dissensions entre Berlin et Paris, lors d'un point-presse régulier.
Il n'a pas voulu donner de détails sur les discussions en cours, invoquant également des "difficultés logistiques" pour certains ministres.
Le report "n'est lié qu'à des difficultés dans l'agenda de certains ministres, mais il n'a rien à voir avec des difficultés politiques", a abondé le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse à Berlin avec son homologue allemand, Robert Habeck.
Du côté de l'Elysée, on admet toutefois qu'il ne s'agit pas que d'une question d'agenda. "On a jugé ensemble que nous avions besoin d’un tout petit peu plus de temps pour atterrir sur des choses ambitieuses, qui soient à la hauteur des enjeux du moment", explique la présidence française.
«Désunion»
Selon plusieurs sources, ce sont bien les points de frictions entre Paris et Berlin qui se sont accumulés en lien avec les bouleversements de la guerre en Ukraine, qui ont entraîné le report.
"A regarder les dernières semaines, la relation franco-allemande donne l’image d’une forme de désunion", décrypte Jacques-Pierre Gougeon, spécialiste de l'Allemagne au sein de l'Iris, institut de recherches basé à Paris.
Les réponses à apporter à la crise énergétique, à la coopération militaire, aux projets communs d'armement ont révélé des dissonances entre les deux pays.
M. Hebestreit a toutefois assuré que le chancelier était "en très étroit contact avec le président Macron", rappelant que le prochain entretien prévu entre les deux dirigeants était jeudi, avant le Sommet européen à Bruxelles.
Il a par ailleurs fait état de "réflexions pour une rencontre à Paris" entre le chancelier Olaf Scholz et Emmanuel Macron "mercredi prochain, mais sans les ministres".
Les Conseils des ministres franco-allemands se tiennent une à deux fois par an, tour à tour en France et en Allemagne.
Le malaise a grandi ces derniers mois alors que chacun des deux dirigeants est aux prises avec une situation difficile dans son propre pays.
Paris, comme d'autres capitales européennes, a ainsi peu goûté l'absence de concertation européenne lors de l'annonce par Olaf Scholz de son dernier plan à 200 milliards d'euros pour soutenir les entreprises et les ménages face à l'inflation.
Les responsables européens craignent une fragmentation de l'UE et se rebellent contre un supposé double-discours allemand qui dispenserait des leçons de rigueur budgétaire au sein de l'UE tout en dépensant sans compter sur la scène intérieure.
«Cavalier seul»
Les Verts allemands, qui participent au gouvernement d'Olaf Scholz, ont eux critiqué les ratés du programme nucléaire français, qui feraient peser une menace sur l'approvisionnement énergétique des deux pays.
Autre sujet qui fâche: Berlin plaide pour la relance d'un projet de gazoduc reliant l'Espagne à l'Allemagne, auquel la France s'oppose.
Les frictions se multiplient aussi dans le domaine de la défense.
Berlin promeut ainsi un projet de bouclier anti-missile, avec notamment une composante israélienne, auquel veulent se joindre 14 pays européens, dont la Grande-Bretagne, les pays baltes, les Pays-Bas ou encore la Finlande. Dénonçant une "course aux armements" au sein du continent, Paris reste en retrait et défend son propre projet.
Le futur avion de combat européen, un serpent de mer entre les deux pays, est un autre point de blocage, avec le risque que le projet britannique concurrent, Tempest, prenne de l'avance.
S'y ajoute une dimension personnelle entre les dirigeants des deux pays, selon M. Gougeon : "Ils ont des tempéraments très différents, pas le même parcours politique. (Olaf) Scholz est moins dans la communication et doit tenir compte de ses partenaires" dans une coalition tripartite particulièrement délicate à conduire.