PARIS: On pourrait la prendre pour une danseuse placée non loin des rappeurs, mais dès que le show Hip-Hop Symphonique commence, ses mains prennent la parole : Laëty est chansigneuse, interprète en live en langue des signes.
Elle incarne une autre facette, moins connue, d'une corporation plus en vue actuellement avec ses homologues mobilisés lors des interventions du ministre de la Santé Olivier Véran en pleine crise sanitaire.
Laëty - Laëtitia Tual hors de scène - livre une vraie performance. L'Adami, société d'accompagnement de carrière artistique, partenaire de l'évènement, la reconnaît d'ailleurs comme une artiste-interprète (il y a une dizaine de chansigneurs professionnels en France).
Son langage corporel varie en fonction du tempo, soyeux ou hardcore, du rap mis ici en musique avec l'orchestre philharmonique de Radio France (5e édition ce samedi, sans public cette fois, depuis l'auditorium de Radio France, diffusée en direct sur Mouv', Mouv.fr et YouTube).
La chansigneuse n'exerce pas que dans le rap, mais évolue dans tous les registres, du gospel à la chanson française - on la voit interpréter « La foule » d'Edith Piaf dans une vidéo sur son site - et touche à tous les domaines d'activité (créations, stages, coaching, etc).
Mais les représentations annuelles de Hip-Hop Symphonique permettent d'éclairer son métier auprès d'un large public (27 millions de vues cumulées du show sur YouTube).
Peut-on parler ici de prestation organique ? « J'aime bien le mot organique, oui, merci ; la langue des signes est une transposition qui demande construction et incarnation, on donne à voir, et des influences reggae ou plus ‘dark’ du rap peuvent en effet passer par le corps, parfois par des petits pas de danse », expose-t-elle.
« Une musicienne de plus »
Cette quadragénaire, qui n'est donc pas sourde, est venue au langage des signes et au chansigne par la découverte d'un livre d'Emmanuelle Laborit, « Le cri de la mouette », à 15 ans. « J'ai ensuite creusé, rencontré des gens, des associations, assisté à des conférences, j'ai compris le côté culturel de cette langue », poursuit-elle.
Ont suivies différentes expériences dans le cadre du théâtre, de comédies musicales, etc. Le premier groupe professionnel qui l'a accueillie en 2007 fut Les Malpolis pour un spectacle satirique sur la politique, « qui changeait chaque jour en fonction de l'actualité, un vrai défi, surtout que les signes politiques n'étaient pas ma spécialité (rires) ».
« Pour moi, Laëty est une musicienne de plus, et cette année nous aurons deux interprètes de plus puisqu'elle sera accompagnée par Adamo, un autre chansigneur », décrit Issam Krimi, tête pensante et chef d'orchestre de l'évènement.
« Elle est totalement intégrée au spectacle, fait un travail de fond sur le texte avant, se cale avec nous aux répétitions, me demande parfois des précisions sur les réorchestrations, et ce qu'elle a préparé, certains gestes notamment, peuvent aussi être repris par les choristes à un instant précis », poursuit-il.
« On fait des recherches »
« La présence d'un chansigneur est venue d'une demande du Mouv' et de Radio France (qui possède une délégation à l'égalité des chances) », précise le concepteur de Hip-Hop Symphonique.
Issam Krimi se décrit lui-même comme « un musicien qui doit beaucoup aux sourds : j'ai travaillé dans le milieu du handicap, à un moment je connaissais quelques gestes pour signer. Travailler avec des sourds m'a donné une approche plus sensible de la musique ».
Comment un public sourd ou malentendant vit-il un show devant sa télé ? « Certains sont bien équipés au niveau enceintes pour profiter des vibrations et la perception des aigus ou des graves dépend des personnes », détaille Laëty.
Cette année, comme les précédentes, toutes les esthétiques et générations du rap sont réunies avec Lous and the Yakuza, Meryl, Passi, Maes et Soolking. Pas trop dur d'ailleurs de se frotter à la langue en ébullition du rap ? « Non, la langue des signes est vivante, inventive ; bon, parfois il faut contacter des collègues d'autres pays quand un mot vient d'une langue étrangère; on fait des recherches (rires) », conclut-elle.