RAMALLAH: Alors que Youssef Adi se promenait dans la vieille ville de Jérusalem, se dirigeant vers la mosquée Al-Aqsa pour aller prier, il était à mille lieues de s’imaginer qu’il finirait en sang, battu et inconscient à l’hôpital.
Ce sont les actes d’un voyou des forces de sécurité israéliennes qui l’ont mené jusque-là et selon les critiques, les forces de sécurité sont de plus en plus incontrôlables.
M. Adi, 36 ans, habite à Hébron. Il occupe le poste de technicien à Palestine TV et il a été arrêté par des agents de la police à la frontière israélienne. Il a été menotté, jeté au sol et battu jusqu’au sang. Les violences se sont poursuivies dans un poste de police voisin, où il a été attaché à une chaise et roué de coups jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Il s’est réveillé dans un lit d’hôpital.
Youssef Adi raconte à Arab News: «Une membre de la police des frontières m’a arrêté, demandant à voir ma carte d’identité, puis elle m’a demandé si j’avais un permis d’entrée en Israël. Après avoir vérifié et confirmé que j’avais un permis, elle m’a dit qu’elle procéderait à une fouille corporelle.»
«En me tournant vers le mur et en levant les mains pour l’inspection, je lui ai demandé pourquoi elle voulait me fouiller alors que j’étais journaliste, en possession du permis d’entrée et que je venais prier à Al-Aqsa.»
«Elle m’a alors répondu qu’elle était libre de me fouiller et de m’arrêter aussi. Puis elle a appelé d’autres policiers qui m’ont jeté au sol, m’ont menotté et ont commencé à me frapper. Mon nez saignait et ils ont appuyé leurs genoux contre mon cou. Je me suis souvenu de George Floyd et j’ai eu l'impression d’étouffer.»
Les violences se sont poursuivies pendant trois heures au poste de police, où le journaliste a perdu connaissance. Lorsqu’il s’est réveillé à l’hôpital, il a eu droit aux railleries d’un officier de haut rang de la police des frontières qui a déclaré avoir réprimandé ses agents pour ne pas avoir battu M. Adi plus sévèrement.
Le lendemain, il a comparu devant un tribunal israélien qui l’a libéré moyennant une caution de 150 dollars (1 dollar = 1 euro) et lui a interdit d’entrer à Jérusalem pendant un mois. «J’ai voulu porter plainte contre les policiers qui m’ont battu, mais ma demande a été ignorée», précise-t-il.
L’incident de ce mois-ci n’a pas surpris les militants qui documentent la violence excessive de la police des frontières contre les Palestiniens depuis plus de vingt ans. Dans un rapport de 2001, le groupe israélien B’Tselem a recensé plusieurs cas d’abus en quelques mois seulement, notamment des agents qui ont cassé la main d’un enfant de trois ans. B’Tselem a également accusé l’unité de police d’enfreindre la loi en omettant d’afficher des badges permettant d’identifier les agents. Le dépôt de plaintes contre la police des frontières est également délibérément bloqué par des obstacles bureaucratiques.
L’unité opère en Cisjordanie occupée sous le commandement de l’armée israélienne, mais elle est administrée par le ministère de la Sécurité intérieure, ce qui rend difficile toute action en justice contre elle.
Jessica Montell, directrice du groupe de défense des droits HaMoked, déclare dans un entretien accordé à Arab News: «La violence policière contre les Palestiniens à Jérusalem-Est est devenue courante ces dernières années, mais les policiers violents sont rarement tenus responsables de leurs actes. Les enquêtes sur les brutalités policières peuvent durer plusieurs années et la plupart des plaintes sont classées sans qu’aucune mesure ne soit prise contre les policiers violents.»
«Cela crée un cycle qui perpétue la violence policière, car très peu de Palestiniens sont prêts à porter plainte. En effet, ils n’ont pas confiance en ce système et les policiers peuvent ainsi agir en toute impunité.»
L’organisation HaMoked a déposé des dizaines de plaintes au nom de victimes palestiniennes de la violence de la police des frontières, dont une concerne une femme de soixante ans qui a été menottée et traînée sur le sol de sa maison. Il y a aussi le cas d’un jeune homme tiré du lit au milieu de la nuit, faussement pris pour quelqu’un d’autre, alors que les membres de sa famille ont été battus. On compte également parmi les agressions un jeune de seize ans déshabillé et battu dans des toilettes publiques.
Malgré cette violence, la police des frontières a ses défenseurs. Samuel Katz, auteur d’un livre sur cette unité, souligne que ses membres se retrouvent dans une situation inextricable. Ils ont une double mission de dissuasion et de désescalade, tout en subissant des pressions publiques et politiques pour faire preuve d’une force inébranlable. «Ils sont condamnés s’ils font ce qu’il faut et condamnés s’ils ne le font pas», précise-t-il à Arab News.
«Ils ne sont pas plus violents que les autres forces de gendarmerie dans le monde qui font face à des troubles civils. Il suffit de voir les unités antiémeutes de la police européenne, notamment celles de la Hollande, de la Belgique et surtout de la France. Il semble même que les Israéliens soient disciplinés en comparaison.»
Les dirigeants palestiniens rejettent cette analyse. Ahmed Ghuneim, du mouvement Fatah à Jérusalem-Est, affirme que le comportement de la police des frontières, qui «se prend pour Rambo», est en grande partie responsable du cycle de violence à Jérusalem et en Cisjordanie occupée.
Il déclare à Arab News: «L’expérience des Palestiniens montre que l’État d’Israël n’a condamné aucun soldat qui a agressé des Palestiniens, même si cela a conduit à leur mort. Alors, auprès de qui devrions-nous nous plaindre et pourquoi prendrions-nous la peine de le faire?»
«Le jeune homme qui voit son frère, son père, sa mère ou sa sœur se faire violemment tabasser par la police des frontières aura sans doute des envies de vengeance.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com