PARIS : L’État français risque de devoir payer une somme record de 20 millions d'euros d'astreinte pour n'avoir pas agi assez rapidement contre la pollution de l'air, qui cause des dizaines de milliers de morts chaque année en France.
L’État avait été condamné en août 2021 à verser 10 millions d'euros pour ne pas avoir renforcé suffisamment son dispositif contre la pollution, une décision portant alors sur le premier semestre 2021.
Le rapporteur public du Conseil d'Etat - dont les avis sont généralement, mais pas toujours, suivis par les juges - a demandé lundi le versement de 20 millions d'euros supplémentaires correspondant aux deux semestres suivants, jusqu'en juillet 2022.
Il a reconnu dans ses conclusions une amélioration "réelle" mais l’État a selon lui échoué à agir dans les délais "les plus courts possible" pour que la qualité de l'air s'améliore dans certaines métropoles.
La pollution, liée notamment au trafic automobile, représente un enjeu important de santé publique. "La mortalité liée à la pollution de l’air ambiant reste un risque conséquent en France avec 40 000 décès attribuables chaque année aux particules fines", soulignait Santé publique France l'an dernier.
Les Amis de la Terre, à l'origine de l'affaire, se sont félicités lundi d'avoir été pour l'essentiel suivis par le rapporteur, en attendant la décision des juges sous deux à trois semaines.
"C'est une astreinte d'un montant historique qui doit entraîner des réactions à la hauteur de la crise actuelle", a réagi Mathilde Manteaux, juriste de l'ONG.
"L’État ne va pas assez vite malgré toutes les crises qui s'enchaînent", sur le plan de la pollution comme du climat, a-t-elle estimé.
En matière climatique, deux décisions de justice distinctes, dans les dossiers dits de "Grande-Synthe" et de "l'Affaire du siècle" ont reconnu en 2021 les manquements de la France.
«Augmenter la pression»
Pour la pollution de l'air, une première décision remonte à juillet 2017. Le Conseil d’État avait alors enjoint à l'Etat de mettre en œuvre des plans de réduction des niveaux de particules fines PM10 ou de dioxyde d'azote (NO2, notamment associé au trafic routier) dans treize zones.
Les seuils de dioxyde d'azote sont encore dépassés à Paris, Lyon et Marseille, tandis que la situation s'est améliorée à Toulouse, mais de manière insuffisante, a estimé lundi le rapporteur. L'agglomération de Grenoble -épinglée par la dernière décision du Conseil d’État en 2021- ne présente en revanche plus de dépassement de la valeur limite.
Le rapporteur a reconnu la mise en ouvre de politiques publiques pour réduire les sources de pollution, comme des mesures d'aide à l'achat de véhicules moins polluants ou l'interdiction de l'installation de nouvelles chaudières au fioul ou au charbon. Autre dispositif mis en exergue par le gouvernement: les zones à faible émissions (ZFE).
"Les choses globalement s'améliorent" et "le nombre de zones en dépassement tend à diminuer", a reconnu le rapporteur qui a toutefois relevé le long délai écoulé depuis la décision de 2017 pour demander une nouvelle astreinte équivalente à la précédente, soit 10 millions par semestre, sans minoration.
"Le fait qu'aucune solution définitive ne soit toujours proposée depuis tout ce temps n'est pas satisfaisant", a-t-il estimé.
Les sommes iraient notamment à des organismes publics luttant contre la pollution de l'air.
L'avocat du ministère de la Transition écologique Louis Boré a souligné les "progrès" réalisés et dit craindre qu'une astreinte aussi lourde n'envoie "un mauvais message".
"L’État souhaite que le montant soit raisonnable et le reflet des efforts déployés", a-t-il expliqué à l'issue de l'audience.
Du côté des Amis de la Terre, on vise déjà l'étape suivante. "On demande que le taux soit rehaussé à partir de la décision à venir, c'est-à-dire qu’il passe à 20 millions par semestre, pour continuer d'augmenter la pression", a déclaré Louis Cofflard, l'avocat de l'ONG.