Comment l'histoire de l'Albanie peut-elle inspirer les peuples des pays du Moyen-Orient ?

Le représentant permanent de l'Albanie auprès des Nations unies, Ferit Hoxha, lors d'une interview accordée à Arab News à l'Assemblée générale des Nations unies (Photo, Arab News).
Le représentant permanent de l'Albanie auprès des Nations unies, Ferit Hoxha, lors d'une interview accordée à Arab News à l'Assemblée générale des Nations unies (Photo, Arab News).
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Publié le Dimanche 18 septembre 2022

Comment l'histoire de l'Albanie peut-elle inspirer les peuples des pays du Moyen-Orient ?

  • Ferit Hoxha, représentant permanent de l'Albanie auprès des Nations unies, évoque deux époques différentes: avant et après le communisme
  • L'Arabie saoudite et les autres pays du Golfe peuvent contribuer à insuffler une énergie positive aux autres pays du Moyen-Orient

NEW YORK: Il existe peu de formes de souffrance humaine dans le monde d'aujourd'hui que l'Albanie, pays des Balkans, n'ait pas connues tout au long de son parcours plein de souffrance au XXe siècle.

L’Albanie a connu un isolement comparable à celui de la Corée du Nord lorsque la dictature stalinienne répressive qui l'a gouvernée de 1945 à 1985 l'a coupée des informations et des influences extérieures, sans compter son défaut d'être un pays historiquement obscur et inaccessible.

Enver Hoxha a coupé les liens non seulement avec l'Occident, mais aussi avec l'ancienne Yougoslavie, l'Union soviétique elle-même et, finalement, la Chine.

Sous son règne de 41 ans, les Albanais avaient connu ce que les Syriens contemporains ne connaissent que très bien — la cruauté et l'absurdité de la vie sous un régime totalitaire, avec d'innombrables morts et la disparition forcée d'êtres chers dans des camps de prisonniers, pendant que le reste du pays plongeait dans le dénuement économique et la misère.

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Le chef d'État albanais Enver Hoxha vote en novembre 1978 (Photo, AFP).

Comme les Libanais et les Yéménites d'aujourd'hui, les Albanais d'alors n'avaient connu qu'une vie de files d'attente pour le pain et le carburant.

Le grand stratagème de Ponzi auquel les Libanais se sont réveillés et qu'ils continuent de subir depuis 2019 a également un précédent en Albanie. Dans les années 1990, le pays a été secoué par la montée et l'effondrement dramatiques des systèmes pyramidaux, mais dans un sens plus littéral.

Des centaines de milliers d'Albanais ont perdu leurs économies. Lorsque les systèmes se sont effondrés, des émeutes ont éclaté dans tout le pays, le gouvernement est tombé, la nation a sombré dans l'anarchie et une quasi-guerre civile s'est ensuivie, au cours de laquelle 2 000 Albanais ont été tués.

Et comme les Afghans, les Ukrainiens et les plus de 200 millions d'autres migrants en déplacement dans le monde aujourd'hui, les Albanais connaissent la douleur de l'exil et du déplacement. Pendant la guerre civile, ils ont fui le pays en masse. De nombreux Albanais qui tentaient de s'échapper ont été abattus.  De nouveau, à la fin des années 1990, des centaines de milliers d'Albanais de souche ont fui le Kosovo pour échapper aux forces serbes en maraude.

Mais la rupture est arrivée. En décembre 1990, un peu plus d'un an après la chute du mur de Berlin, le gouvernement communiste de l'Albanie est tombé, marquant la fin de l'histoire, après laquelle l'Albanie ne pouvait suivre qu'une seule voie — vers le capitalisme, la démocratie et la liberté. 

Ferit Hoxha, représentant permanent de l'Albanie auprès des Nations unies, se souvient clairement d'un monde violemment scindé en deux: avant et après le communisme autoritaire.

Il a déclaré à Arab News: «J'ai grandi dans un pays où il y a un seul journal, une seule voix, une seule ligne, et où l'on n'a pas le droit de penser. Mes parents m'ont dit de réfléchir à deux fois à ce que je disais et à qui je le disais.»

«La liberté commence lorsque vous mettez en doute ce que vous entendez. La liberté ne signifie pas que vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Non. La liberté se construit à travers les institutions, les lois, les règles, la responsabilité, la justice», a-t-il ajouté.

La quête de la liberté a une résonance profonde dans un pays comme l'Albanie, dont la chronique de l'histoire politique, selon Hoxha, a un thème récurrent: la domination.

«À travers les siècles, les Albanais se sont battus afin de trouver réellement leur place, leurs droits pour définir leur avenir. Ils n'en ont pas toujours eu la possibilité», a-t-il affirmé . Il a mentionné que les Albanais ont toujours résisté grâce à «la langue, la culture, l'identité».

Il a rappelé une époque où son pays était un paria dans le monde. «Et certainement, quand vous êtes un petit pays et pas un pays important comme nous l'étions à l'époque, vous êtes tout simplement oublié. Vous pouvez penser que vous êtes le centre du monde, mais en réalité, vous êtes oublié.»

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Photos d'ecclésiastiques catholiques romains tués ou persécutés en Albanie, avant la visite du pape François en 2014 (Photo, AFP).

 

Trente ans plus tard, l'Albanie est tout sauf oubliée. Alors que le monde connaît des bouleversements sans précédent, avec des malheurs allant de la pandémie de coronavirus et de la guerre en Ukraine à la sécheresse et à la famine imminente en Somalie, l'Albanie a été l'une des voix les plus fortes à défendre les laissés-pour-compte depuis son siège au Conseil de sécurité des Nations unies.

Les pays membres, qui font souvent campagne pendant des années pour obtenir un siège, ont leur mot à dire sur les missions de maintien de la paix et les autres approches du Conseil concernant les zones sensibles de conflit, ainsi qu'une voix forte sur les questions de paix et de sécurité internationale.

Comment cela s'est-il produit ? Qu'est-ce qui, au cours des 30 dernières années, a fait passer l'Albanie du statut d'État paria à celui de grand défenseur des valeurs universelles sur la scène internationale ?

Hoxha a clarifié: «Ce qui s'est passé, c'est une transformation. Les progrès et les changements observés (au début des années 1990) ne ressemblaient à rien à ce que l'Albanie avait connu au cours des 2 500 dernières années. Le changement était si radical, le désir si fort, et la transformation si profonde.»

Il est conscient que le passé douloureux de l'Albanie semblera familier aux habitants de nombreux pays, même en ces temps postmodernes

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Le représentant permanent de l'Albanie auprès des Nations unies, Ferit Hoxha, lors d'une interview accordée à Arab News à l'Assemblée générale des Nations unies (Photo, AN).

Ses discours passionnés au Conseil de sécurité portent en eux la conviction de l'expérience vécue. Lorsqu'il inscrit la Charte des Nations unies et les principes universels dans ses déclarations, celles-ci prennent un sens nouveau. Ses paroles dans la salle prennent le son de la vérité et de la clarté.

Lors d'une récente réunion du Conseil de sécurité sur la Syrie, par exemple, Hoxha a commencé par dire qu'il n'y avait pas d'autre endroit dans le monde où l'expression «aucune fin en vue» s'applique qu’à la Syrie.

Il a souligné qu'après 11 ans de violence et «tous les crimes commis par beaucoup, mais surtout par le régime qui a tout déclenché, la solution en Syrie repose désormais sur le processus politique, et je ne crois pas qu'il y aura un processus politique significatif sans responsabilité».

Hoxha a ajouté: «Si j'étais une personne âgée en Syrie aujourd'hui, malgré tout ce que j'ai pu souffrir, malgré le nombre de membres de ma famille qui sont morts ou disparus parmi les 130 000 personnes portées disparues, et malgré le fait que de nombreux membres de ma famille se trouvent dans les prisons notoires du régime, je me poserais une question: Puis-je construire mon avenir avec les mêmes personnes ? Puis-je construire mon avenir avec la même domination d'une partie du pays sur tout le reste ?»

«Si la réponse est oui, alors nous allons voir le prochain chapitre de la guerre commencer.»

«Parce qu'il y a une chose que nous avons appris à travers les milliers d'années de domination de l'Albanie — en fin de compte, quoi que nous fassions, les gens veulent la liberté, la paix et la prospérité. Au fond de vous, vous avez ce désir ardent de vivre réellement une vie digne. Il n'y a aucun être humain sur Terre qui aimerait vivre sans un minimum de dignité», a-t-il indiqué.

Il a poursuivi: «C'est pourquoi pour moi, sans rendre des comptes, la Syrie ne verra pas de fin.»

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Un officier salue les membres du train de la seule académie militaire d'Albanie, à 30 kilomètres de Tirana, qui se préparent à travailler avec la force internationale qui sera déployée dans le pays (Photo, AFP/Archives).

De la Palestine au Yémen, en passant par la Libye et le Liban, il y avait un point commun, selon Hoxha, et c'était «l'instabilité». Bien que chaque situation soit unique, Hoxha attribue la responsabilité de l'instabilité aux classes politiques qui n'ont pas réussi à s'unir ou à passer de leurs intérêts étroits à ceux de leur peuple et de leur pays.

Il a ajouté: «C'est l'une des grandes faiblesses de la classe politique. Lorsque la classe politique n'est pas vraiment capable de s'unir, alors vous avez des institutions faibles qui ne permettent pas au pays de vraiment avancer.»

«Il y a donc un grand test de maturité à acquérir pour de nombreux pays. Voulons-nous construire des choses pour nous tou, ou seulement pour certains d'entre nous ?», a-t-il avisé.

Hoxha a indiqué: «C'est pourquoi nous sommes maintenant si désireux de soutenir la trêve, de la prolonger et de résoudre les problèmes restants, comme la fermeture des routes à l'entrée et à la sortie de Taïz, le manque de coopération des Houthis, etc.»

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«Il y a une chose que nous avons appris à travers les milliers d'années de domination de l'Albanie — en fin de compte, quoi que nous fassions, les gens veulent la liberté, la paix et la prospérité.»

 Ferit Hoxha, représentant permanent de l'Albanie auprès de l'ONU

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En Libye, le problème était la légitimité, selon Hoxha.

Il a indiqué: «Aujourd'hui, nous avons deux gouvernements en Libye, deux cadres parallèles et rien de bon ne peut en sortir tant qu'une certaine légitimité n'est pas restaurée.»

Tout comme l'Albanie avait des amis qui soutenaient son peuple alors qu'elle s'efforçait de trouver ses repères dans un monde nouveau après des années d'isolement, Hoxha croit que le Moyen-Orient peut bénéficier de «l'énergie positive» que l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe peuvent insuffler à une région autrement misérable.

Hoxha a souligné que leur rôle n'était nulle part aussi nécessaire que dans le conflit israélo-palestinien.

Il a décrit l'Arabie saoudite et le reste des pays du Golfe comme des acteurs importants qui deviennent plus actifs.

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Une poignée de communistes albanais crient des slogans en tenant un portrait du défunt dictateur communiste albanais, Enver Hoxha, lors d'une marche du 1er mai à Tirana, le 1er mai 2016 (Photo, AFP).

Hoxha a poursuivi: «L'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe peuvent être extrêmement utiles pour faire avancer non seulement la cause des femmes, de la paix et de la sécurité, et pour faire progresser les droits partout, mais aussi, plus que tout, ils peuvent contribuer à insuffler aux pays du grand Moyen-Orient une énergie positive, pour leur permettre de sortir de l'ornière dans laquelle ils sont coincés depuis 70 ans ou plus.»

Hoxha a affirmé que le pouvoir des pays du Golfe était «immense», que leur influence augmentait et que leur capacité était là, mais qu'ils devaient agir de manière plus coordonnée.

«Parce qu'ils sont importants en soi, mais ils ont aussi des amis et des relations avec d'autres puissances. Et j'espère que cela sera utilisé non seulement au niveau bilatéral, mais aussi au niveau régional et mondial, afin de faire vraiment pression pour la paix et pour une solution pour le Moyen-Orient.»

«Nous demandons un rôle plus important et mieux coordonné avec les autres acteurs pour nous assurer que nous avons un processus qui aiderait vraiment tout le monde à avancer dans le conflit le plus complexe et le plus tragique que nous ayons connu depuis la Seconde Guerre mondiale, à savoir le conflit israélo-palestinien», a-t-il soutenu.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


Crise ouverte entre Madrid et Buenos Aires après une attaque de Milei contre Sánchez

Le président argentin Javier Milei fait un geste alors qu'il prononce un discours sur scène lors du rassemblement du parti d'extrême droite espagnol Vox "Europa Viva 24" à Madrid le 19 mai 2024 (Photo, AFP).
Le président argentin Javier Milei fait un geste alors qu'il prononce un discours sur scène lors du rassemblement du parti d'extrême droite espagnol Vox "Europa Viva 24" à Madrid le 19 mai 2024 (Photo, AFP).
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  • Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, avait annoncé quelques heures plus tôt avoir convoqué l'ambassadeur argentin
  • Ces tensions entre les deux pays ont suscité les craintes du monde des affaires en Espagne

MADRID: Pedro Sánchez a accusé lundi Javier Milei de ne pas être "à la hauteur" des "liens" unissant leurs deux pays, au lendemain de propos polémiques du président argentin qui font planer la menace d'une rupture des relations entre Madrid et Buenos Aires.

Javier Milei "n'a malheureusement pas été à la hauteur" des "liens fraternels unissant l'Espagne et l'Argentine", a déclaré le Premier ministre espagnol, dont l'épouse a été ciblée par le président ultralibéral argentin.

"Je suis conscient que celui qui a parlé hier (dimanche) ne l'a pas fait au nom du grand peuple argentin", a ajouté le dirigeant socialiste, lors de sa première prise de parole sur cette crise diplomatique, en exigeant des excuses publiques de M. Milei.

Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, avait annoncé quelques heures plus tôt avoir convoqué l'ambassadeur argentin pour lui "faire part de la gravité de la situation" après avoir déjà rappelé dimanche pour consultations l'ambassadrice espagnole en Argentine.

Interrogé explicitement sur la possibilité d'une rupture des relations diplomatiques en cas d'absence d'excuses de Javier Milei, M. Albares n'a pas écarté cette éventualité. "Nous ne voulons évidemment pas prendre ces mesures, mais s'il n'y a pas d'excuses publiques, nous le ferons", a-t-il prévenu.

Buenos Aires a opposé jusqu'ici une fin de non-recevoir aux demandes de Madrid.

"Il n'y a aucune excuse à faire. Aucune excuse. Je pense, au contraire, que le gouvernement espagnol devrait présenter des excuses pour ce qu'il a dit de Milei", notamment accusé par la numéro trois de l'exécutif espagnol Yolanda Diaz de semer la "haine", a jugé dimanche soir le ministre argentin de l'Intérieur, Guillermo Francos.

"Le lion est de retour et surfe sur la vague des larmes socialistes. Vive la liberté, bordel", a ironisé de son côté sur X lundi le président argentin.

«Femme corrompue»

Cette crise diplomatique d'un niveau inédit entre les deux pays a été provoquée par des propos tenus dimanche à Madrid par Javier Milei, invité d'honneur d'une convention du parti d'extrême droite espagnol Vox.

Dans un discours au ton belliqueux, il a attaqué, comme il en a l'habitude, le socialisme, mais s'en est aussi pris à la femme de Pedro Sánchez, Begoña Sánchez, sans toutefois la nommer.

"Les élites mondiales ne réalisent pas à quel point la mise en application des idées du socialisme peut être destructrice. Elles ne savent pas le type de société et de pays que cela peut produire et le type de gens accrochés au pouvoir et le niveau d'abus que cela peut générer", a-t-il déclaré.

"Quand vous avez une femme corrompue, vous vous salissez et vous prenez cinq jours pour y réfléchir", a ajouté le président argentin, qui n'a rencontré ni le roi Felipe VI ni Pedro Sánchez, lors de sa visite de trois jours à Madrid.

Ces propos ont été perçus comme une allusion claire à la récente décision de M. Sánchez de suspendre toutes ses activités durant cinq jours pour réfléchir à une démission, après l'ouverture d'une enquête préliminaire pour "trafic d'influence" et "corruption" contre sa femme.

Craintes des entreprises

Ces tensions entre les deux pays ont suscité les craintes du monde des affaires en Espagne, pays qui est le deuxième investisseur en Argentine après les États-Unis, avec un montant annuel de près de 15 milliards d'euros, selon l'Institut espagnol du commerce extérieur.

Le président de la confédération patronale CEOE, Antonio Garamendi, a ainsi qualifié les propos de Javier Milei d'"attaque" susceptible de nuire aux échanges. De grandes entreprises comme BBVA, Santander ou Telefonica sont allées dans le même sens.

Tout en condamnant les déclarations de Milei, Esteban González Pons, du Parti Populaire (PP, droite), a rejeté une partie de la faute sur Pedro Sánchez.

Les entreprises espagnoles "ne méritent pas que leur situation soit compromise par le sens de l'honneur de Pedro Sánchez" dont l'épouse ne doit pas être "une question d'Etat", a raillé ce haut responsable de la principale formation d'opposition.

Cette crise survient deux semaines après une première brouille déclenchée par un ministre espagnol, qui avait suggéré que M. Milei se droguait. La présidence argentine avait alors réagi en accusant Pedro Sánchez de n'apporter que "pauvreté et mort" en Espagne avec ses politiques.


Le nouveau président de Taïwan s'engage à défendre la démocratie face à la Chine

Le président élu de Taiwan, Lai Ching-te, prête serment devant un portrait du fondateur de Taiwan, Sun Yat-sen, lors de la cérémonie d'inauguration au bâtiment du bureau présidentiel à Taipei (Photo, AFP).
Le président élu de Taiwan, Lai Ching-te, prête serment devant un portrait du fondateur de Taiwan, Sun Yat-sen, lors de la cérémonie d'inauguration au bâtiment du bureau présidentiel à Taipei (Photo, AFP).
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  • Dans son discours d'investiture au palais présidentiel de Taipei, M. Lai a évoqué de façon directe la menace de guerre après des années de pressions de la part de la Chine
  • M. Lai a tenté à plusieurs reprises de rouvrir le dialogue avec la Chine, que Pékin a rompu en 2016

TAIPEI: Le nouveau président de Taïwan Lai Ching-te a promis de défendre la démocratie de l'île face aux menaces chinoises et appelé la Chine à "cesser ses intimidations politiques et militaires", après avoir prêté serment lundi.

Pékin, qui a précédemment qualifié M. Lai de "dangereux séparatiste", a fustigé son discours, estimant qu'il envoyait "un signal dangereux".

Dans son discours d'investiture au palais présidentiel de Taipei, M. Lai a évoqué de façon directe la menace de guerre après des années de pressions de la part de la Chine pour que Taïwan passe sous son contrôle.

Le nouveau président a remercié les Taïwanais d'avoir résisté à l'influence "des forces extérieures et d'avoir résolument défendu la démocratie", affirmant que "l'ère glorieuse de la démocratie taïwanaise est arrivée".

"Face aux nombreuses menaces et tentatives d'infiltration, nous devons montrer notre détermination à défendre notre nation, nous devons également accroître notre préparation à la défense et renforcer notre cadre juridique en matière de sécurité nationale", a relevé M. Lai après son entrée en fonction.

Issu du Parti démocrate progressiste (PDP), le même mouvement que sa prédécesseure Tsai Ing-wen, M. Lai s'est qualifié dans le passé "d'ouvrier pragmatique" pour l'indépendance de Taïwan.

Mais il a depuis adouci son discours, et a promis lundi que son gouvernement "ne cédera pas, ne provoquera pas et maintiendra le statu quo", c'est-à-dire un équilibre qui préserve la souveraineté de Taïwan sans pour autant déclarer une indépendance formelle.

Responsabilité partagée pour la paix 

Il a aussi appelé la Chine à "cesser ses intimidations politiques et militaires contre Taïwan".

Pékin doit "partager avec Taïwan la responsabilité envers le monde du maintien de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan", a-t-il plaidé.

M. Lai a tenté à plusieurs reprises de rouvrir le dialogue avec la Chine, que Pékin a rompu en 2016.

Le nouveau président a dit lundi espérer que la Chine "choisira le dialogue aux dépens de la confrontation" et appelé Pékin à autoriser à nouveau le tourisme et la venue des étudiants chinois dans l'île.

Quelques heures plus tard, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, a souligné que "l'unification de la Chine est irréversible".

"Le comportement sécessionniste des forces indépendantistes de Taïwan constitue le défi le plus sérieux pour l'ordre international et le changement le plus dangereux pour le statu quo dans le détroit de Taïwan", a-t-il déclaré sans nommer M. Lai.

Le bureau chinois des affaires taïwanaises, qui gère les questions liées au détroit, a aussi fustigé son discours d'investiture, estimant qu'il envoie "un signal dangereux" et le qualifiant de "provocation visant à saper la paix et la stabilité entre les deux rives du détroit".

L'île de 23 millions d'habitants est gouvernée de manière autonome depuis 1949, mais la Chine la considère comme une partie de son territoire et a affirmé vouloir la ramener sous son contrôle, par la force si nécessaire.

Si Washington reconnaît Pékin au détriment de Taipei depuis 1979, il est resté le partenaire le plus important de Taïwan et son principal fournisseur d'armes.

Concomitamment, la Chine a dévoilé lundi de nouvelles sanctions contre trois entreprises américaines vendant des armes à Taïwan.

Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a félicité M. Lai, dont l'investiture est, selon lui, le signe d'un "système démocratique résilient". Il a dit espérer que Washington et Taipei puissent renforcer leurs relations et maintenir la "paix et la stabilité" dans la région du détroit de Taïwan.

En Chine, le réseau social Weibo, équivalent de la plateforme X, a bloqué les hashtags lundi liés au nouveau président taïwanais.

La cérémonie, durant laquelle a été aussi investie la nouvelle vice-présidente, Hsiao Bi-khim, s'est tenue au palais présidentiel de Taipei, la capitale.

En marque de soutien, huit chefs d'Etat, des rares pays qui reconnaissent Taïwan, y ont participé ainsi que plusieurs dizaines de délégations.

Taïwan souffre d'un manque de reconnaissance diplomatique, ne disposant que de 12 alliés sur la scène internationale.

Une délégation américaine - comprenant l'ancien directeur du Conseil économique national, Brian Deese, et l'ancien secrétaire d'État adjoint Richard Armitage - a assisté à Taipei à l'inauguration. Lors d'une réunion avec la délégation après son investiture, M. Lai a remercié les États-Unis "pour leur soutien à Taïwan, que ce soit de la part du gouvernement ou du secteur privé".

Défis internes 

L'île jouit de ses propres institutions, d'une armée et bat monnaie: le nouveau dollar de Taïwan.

La majorité des habitants de Taïwan estime également disposer d'une identité propre taïwanaise, distincte de la Chine, selon des enquêtes d'opinion.

"Je pense qu'il est préférable de ne pas être trop proche ou trop éloigné de la Chine, il vaut mieux conserver une attitude de neutralité", a observé Shen Yujen, un Taïwanais de 24 ans, qui est en train de faire son service militaire.

En plus de la menace chinoise, le président Lai Ching-te devra faire face à de nombreux autres défis au cours de son mandat.

Le PDP a perdu sa majorité au parlement, ce qui pourrait compliquer la tâche de M. Lai pour faire adopter ses réformes prévues pour s'attaquer au coût de la vie et des logements.


A l'université de Martin Luther King, Joe Biden promet d'écouter les manifestations pour Gaza

Le président américain Joe Biden reçoit un diplôme honorifique après avoir prononcé son discours d'ouverture lors de la cérémonie de remise des diplômes du Morehouse College à Atlanta, en Géorgie, le 19 mai 2024 (Photo, AFP).
Le président américain Joe Biden reçoit un diplôme honorifique après avoir prononcé son discours d'ouverture lors de la cérémonie de remise des diplômes du Morehouse College à Atlanta, en Géorgie, le 19 mai 2024 (Photo, AFP).
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  • Pendant qu'il parlait, une poignée d'étudiants ont tourné le dos à Joe Biden et brandi des drapeaux palestiniens
  • Joe Biden a insisté sur la protection de la démocratie et la lutte contre le racisme, des thèmes sur lesquels il veut incarner l'antithèse de Donald Trump

ATLANTA: Le président américain Joe Biden a promis dimanche d'écouter les "manifestations pacifiques et non violentes" contre la guerre menée par Israël à Gaza, lors d'une visite dans l'université où a étudié Martin Luther King destinée à séduire l'électorat afro-américain et jeune.

"Je soutiens les manifestations pacifiques et non violentes. Vos voix doivent être entendues, et je vous promets que je les entends", a déclaré le président lors de la cérémonie de remise des diplômes au Morehouse College d'Atlanta, dans l'Etat de Géorgie (sud-est).

Pendant qu'il parlait, une poignée d'étudiants ont tourné le dos à Joe Biden et brandi des drapeaux palestiniens, pour symboliser leur opposition à sa politique de soutien, y compris militaire, à Israël, allié historique des Etats-Unis.

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Les étudiants diplômés tournent le dos au président américain Joe Biden alors qu'il prononce un discours d'ouverture lors de la cérémonie de remise des diplômes du Morehouse College à Atlanta (Photo, AFP).

Des étudiants de l'université historiquement afro-américaine avaient demandé à leur direction d'annuler le discours du démocrate.

Lors de sa prise de parole, Joe Biden a aussi appelé à un cessez-le-feu à Gaza et au retour des otages israéliens capturés le 7 octobre par le Hamas, alors que l'armée israélienne y intensifie ses frappes et que les combats y font toujours rage.

Le président démocrate a assuré qu'il travaillait à "une paix durable" dans toute la région, incluant "une solution à deux Etats" avec la création d'un Etat palestinien, "la seule solution".

"C'est l'un des problèmes les plus difficiles et complexes dans le monde. Il n'y a rien de facile dans cette situation", a déclaré le président démocrate, qui avait revêtu une robe marron et noire, les couleurs de Morehouse College.

"Je sais que cela met en colère et frustre beaucoup d'entre vous, y compris dans ma famille, mais surtout je sais que cela vous brise le cœur. Cela brise le mien aussi", a-t-il assuré, dans une apparente allusion à son épouse Jill, qui selon les médias américains lui a fait part de ses inquiétudes face au bilan de victimes de plus en plus élevé dans la population civile à Gaza.

Jeunes et Afro-Américains 

En venant à Morehouse, Joe Biden a voulu rendre hommage au héros du mouvement des droits civiques qui y a fait ses études, mais des étudiants ont souligné que Martin Luther King s'opposait à la guerre et notamment à celle du Vietnam dans les années 1960.

Le président démocrate a d'abord gardé le silence sur les manifestations propalestiniennes, avant de déclarer que "l'ordre doit prévaloir" sur les campus américains où la police est intervenue pour déloger des campements.

Mais le soutien historique des Etats-Unis à Israël fait craindre au camp démocrate de perdre des voix parmi l'électorat jeune et les sympathisants de la cause palestinienne.

De manière plus générale, les sondages montrent des difficultés plus larges du démocrate de 81 ans à obtenir le soutien des électeurs noirs et des jeunes américains, deux groupes qui l'ont aidé à vaincre son rival Donald Trump en 2020 et qui seront à nouveau déterminants cette année pour empêcher un retour du républicain à la Maison Blanche.

Selon un récent sondage New York Times/Siena, Donald Trump pourrait recueillir les voix de 20% des Afro-Américains en novembre, environ le double de 2020. Ce serait un record pour un candidat républicain et un désaveu pour son adversaire démocrate.

Joe Biden a insisté sur la protection de la démocratie et la lutte contre le racisme, des thèmes sur lesquels il veut incarner l'antithèse de Donald Trump.

"C'est ce à quoi nous devons nous confronter: des forces extrémistes qui s'opposent au message et au sens de Morehouse", a lancé Joe Biden.

Cette semaine, il a aussi reçu dans le Bureau ovale des personnalités et des parents de plaignants dans l'affaire nommée "Brown v. Board of Education" (Brown contre le Bureau de l'éducation de Topeka), qui a donné lieu à un arrêt historique de la Cour suprême des Etats-Unis en 1954 interdisant la ségrégation scolaire, un tournant dans le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.

«Pour la vengeance»

Le président américain a continué son périple de campagne à Détroit (nord-est), où il s'est rendu dans un café détenu par deux anciens joueurs de la NBA, les frères Joe et Jordan Crawford.

"Les gars contre lesquels nous concourons veulent annuler tous les progrès que nous avons apportés", a-t-il dit.

M. Biden a ensuite assisté à un événement organisé par la principale association de défense des droits civiques du pays, la NAACP, au cours duquel il a pris la parole devant des milliers de personnes.

Le fort soutien de la communauté afro-américaine lors de l'élection 2020 est "l'unique raison pour laquelle je me tiens devant vous en tant que président", a estimé le démocrate.

"Et vous êtes la raison pour laquelle Donald Trump sera encore un perdant" en novembre, a-t-il affirmé.

"La menace que pose Trump (pour un éventuel) second mandat est plus grande que pour le premier", a averti Joe Biden, assurant que son adversaire concourait "pour la vengeance".