Lorsqu’un réacteur nucléaire a produit de l’électricité pour la première fois en 1951, ce combustible miracle a permis aux pays européens déchirés par la guerre de se reconstruire. Après la crise pétrolière de 1973, la demande d'électricité est devenue si importante que la production nucléaire s’est rapidement répandue. En 15 ans, la France a construit 25 centrales nucléaires.
Cependant, avec le temps et à la suite de plusieurs incidents majeurs, la production d'électricité à partir de la fission nucléaire, de la désintégration nucléaire et de la fusion nucléaire est devenue plus controversée. C’est dans cette perspective que de nombreuses grandes puissances nucléaires ont présenté des échéanciers pour la fermeture progressive de leurs centrales nucléaires. C’était le cas, bien sûr, jusqu'à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février. Dans un contexte de hausse des prix de l'énergie et d'incertitude quant à l'approvisionnement de l'Europe en gaz russe, les immanquables panneaux jaunes et noirs de mise en garde contre les radiations semblent devoir être maintenus, le continent se tournant à nouveau vers ses centrales nucléaires.
Les deux gazoducs offshore qui passent sous la mer Baltique entre la Russie et l'Allemagne, connus sous le nom de Nord Stream, sont essentiels à la sécurité énergétique du continent. Les deux plus longs gazoducs sous-marins du monde, d'une capacité de plus de 100 milliards de mètres cubes de gaz par an, ont fait l'objet d'une opposition farouche en raison de la crainte qu'ils n'accroissent l'influence de la Russie en Europe. Étant donné que l'actionnaire majoritaire est l'entreprise publique russe Gazprom, cette infrastructure critique a toujours été, malgré les garanties, une sorte d’épée de Damoclès que la Russie fait planer au-dessus de l’Europe.
Il n'est donc pas surprenant qu'en raison de l'opposition occidentale à l'action militaire de Moscou en Ukraine, Nord Stream 1 ait été temporairement arrêté pour des raisons de maintenance et, plus récemment, stoppé net en raison d'un manque d'équipement, prétendument à cause des sanctions occidentales contre la Russie. Au cœur de tout cela, Gazprom a publié une déclaration confirmant les plus grandes craintes de l'Europe, à savoir une déclaration de force majeure dans laquelle la société affirme ne plus pouvoir remplir ses obligations d'approvisionnement en raison de « circonstances extraordinaires ». Si, d'un point de vue juridique, cette déclaration visait à libérer Gazprom de ses obligations contractuelles, elle équivalait en réalité à une militarisation de l'approvisionnement énergétique par la Russie.
L'Europe se tourne donc à nouveau vers l'énergie nucléaire. Tout comme la crise pétrolière des années 1970 a marqué les esprits au Japon et en France, les prochains hivers risquent d'être difficiles à gérer pour les gouvernements et les ménages vulnérables.
Avec l'hiver qui se profile, le continent doit diversifier non seulement ses fournisseurs, mais aussi ses sources d'énergie.
Zaid M. BELBAGI
Non seulement la Russie a fourni 45 % du total des importations de gaz de l'UE l'année dernière, mais elle a aussi constamment cherché à créer de l'incertitude autour de Nord Stream. En août 2021, avant l'invasion de l'Ukraine, elle a commencé à réduire les approvisionnements de l'UE dans le but de faire grimper les prix et de rouvrir le dossier de l'investissement dans Nord Stream 2. Après le début de la guerre, les approvisionnements ont encore été réduits lorsqu'il a été demandé aux entreprises européennes de payer en roubles, ce qui a entraîné l'arrêt partiel ou total des livraisons à 12 États membres.
Avec l'hiver qui se profile à l'horizon, l'Europe doit diversifier non seulement ses fournisseurs, mais aussi ses sources d'énergie.
La solution immédiate consiste à maintenir la dépendance à l'égard des centrales de charbon ou des réacteurs nucléaires. Bien que ces deux solutions soient impopulaires auprès des militants, la situation économique mondiale actuelle est si grave que les gouvernements européens n'ont guère le choix.
Le ministre français de l'énergie a déclaré ce mois-ci que le géant de l'électricité EDF s'était engagé à redémarrer toutes ses centrales nucléaires d'ici à cet hiver pour aider les consommateurs. En Allemagne, la crise a provoqué une rupture au sein de la nouvelle administration d'Olaf Scholz, à l’heure où la plus grande économie d'Europe se bat pour passer l'hiver. Son ministre de l'économie a annoncé que des pannes d'électricité « ne peuvent être totalement exclues » et, bien qu'il s'agisse d'une figure de proue du parti des Verts, il s'est engagé à maintenir en veille deux des trois dernières centrales nucléaires allemandes, dépassant ainsi largement le délai de fermeture fixé.
Dans ce contexte, il est probable que le gouvernement allemand s'engage à prolonger à plus long terme la durée de vie des centrales nucléaires du pays. Au cas où, en Allemagne et dans toute l'Europe, des centrales au charbon mises en veille sont utilisées pour produire de l'électricité, le choix entre cette source de combustible – la plus nuisible pour l'environnement – et l'énergie nucléaire est clair.
Malgré la crise, il semblerait que les investissements à grande échelle dans les secteurs de l'électricité du passé soient un défi, alors que les pays s'efforcent d'atteindre zéro émission nette d'ici 2050. Bien que les failles d'une dépendance excessive à l'égard du gaz russe aient été mises en évidence, seul un effort déterminé pour produire de l'électricité à partir de sources renouvelables offrira une solution à long terme. Toutefois, la substitution complète du gaz et de l'énergie nucléaire par des énergies renouvelables prendra des années et ces sources sont elles-mêmes fortement touchées par le changement climatique. La grave sécheresse de cet été, que l'on estime être la pire depuis 500 ans, a entraîné une baisse de la production d'hydroélectricité dans toute l'Europe, tandis que les vagues de chaleur répétées ont forcé la fermeture de réacteurs nucléaires pour des raisons environnementales.
Au cours des deux prochaines décennies, l'Europe restera exposée aux chocs énergétiques mondiaux jusqu'à ce que des moyens durables de production d'énergie renouvelable, parallèlement à un changement de consommation, puissent être atteints.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et conseille des clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
TWITTER: @Moulay_Zaid
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.