SAN SALVADOR: L'annonce par le président salvadorien Nayib Bukele de sa candidature à la réélection en 2024 relance le débat sur le caractère constitutionnel d'une telle décision, normalement interdite mais rendue possible par un arrêt polémique de juges de la Cour suprême nommés par la majorité parlementaire favorable au chef de l'Etat.
"J'annonce au peuple salvadorien que j'ai décidé de présenter ma candidature pour la présidence de la République" lors des prochaines élections en 2024, a déclaré M. Bukele jeudi soir à l'occasion d'un discours radio-télévisé pour la célébration du 201e anniversaire de l'indépendance du pays.
En septembre 2021, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême avait interprété un article de la Constitution dans un sens permettant à M. Bukele de se représenter. L'interdiction constitutionnelle de se présenter à un second mandat consécutif a pourtant toujours été jusqu'ici respectée par ses prédécesseurs.
«Interprétation sur mesure»
"L'arrêt (de la Cour suprême) n'est pas conforme au droit. Le texte constitutionnel a été manipulé et il en a été fait une interprétation erronée et sur mesure (pour M. Bukele) car la réélection n'est pas permise" par la Constitution, dénonce Eduardo Escobar, directeur de l'ONG anticorruption Action citoyenne.
En mai 2021, la toute nouvelle majorité parlementaire favorable au président Bukele avait destitué les magistrats de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, ainsi que le procureur général, avant de nommer de nouveaux juges, ce qui avait été qualifié de mesure "antidémocratique" par les Etats-Unis.
Nayib "Bukele veut se perpétuer au pouvoir (...) Nous sommes sur la voie de la transformation du Salvador en un autre Nicaragua", soupire M. Escobar. Le président nicaraguayen Daniel Ortega a lui aussi profité d'opportunes réformes constitutionnelles pour obtenir en novembre dernier un quatrième mandat consécutif.
En dépit de l'écrasante popularité dont il jouit dans la population grâce à sa "guerre contre le crime", le jeune président salvadorien est aussi la cible d'accusations d'autoritarisme de la part de ses opposants et d'organisations de défense des droits de l'homme.
"Si nous nous en tenons à l'arrêt de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, la voie de la réélection est ouverte car c'est l'interprétation de la Chambre. Il n'y a rien à y faire, que cela nous plaise ou non", estime l'analyste politique et avocat Julio Valdivieso.
"La seule manière d'empêcher la réélection" serait que la même juridiction "émette un nouvel arrêt qui corrigerait" sa précédente décision, tranche l'analyste politique Marvin Aguilar, pour qui une telle possibilité est pour le moment des plus improbable.
"Tout est question d'interprétation de la Constitution. Il a été opéré un changement de jurisprudence qui n'est peut-être pas le plus correct (mais) ce n'est pas illégal puisque c'est ce qu'a établi la plus haute instance juridique constitutionnelle", ajoute M. Aguilar.
«Rester à tout prix au pouvoir»
La décision de se représenter à l'élection présidentielle montre "l'évidente intention du (président) Bukele de rester à tout prix au pouvoir", juge Jaime Guevara, chef de file des députés du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), le parti de gauche dont M. Bukele était membre jusqu'à son expulsion en 2017, accusé d'en avoir insulté une responsable.
Pour les Salvadoriens, l'annonce du président Bukele n'est pas vraiment une surprise.
"C'est la meilleure décision qu'il pouvait prendre", se félicite Armando Rodríguez, un chauffeur de taxi de 54 ans.
"On critique ce président parce qu'il travaille, qu'il distribue la richesse au peuple en donnant beaucoup d'aides", déplore le chauffeur de taxi.
Les ONG salvadoriennes et internationales de défense des droits de l'homme critiquent notamment le gouvernement Bukele pour avoir imposé depuis le mois de mars l'état d'exception afin de mener "la guerre" aux bandes criminelles qui terrorisent le pays. Plus de 52.000 membres présumés de ces bandes, les redoutées "maras", ont depuis été arrêtés.
La sous-directrice pour les Amériques de l'ONG Human Rights Watch (HRW), Tamara Taraciuk, a dénoncé récemment un "désastre en matière de droits de l'homme" sous le régime d'exception.