VIENNE: Des mois d'angoisse, d'hésitations et puis finalement la décision de rester: pour la famille Titkov, arrivée à Vienne peu après l'invasion russe de l'Ukraine, la rentrée scolaire est synonyme de nouveau départ.
Lundi, les trois garçons, Danylo, Denys et Dmitry, respectivement 9, 11 et 15 ans, ont rejoint les bancs de l'école.
C'est leur première rentrée officielle dans leur terre d'accueil, comme n'importe quel écolier autrichien.
"Un peu stressés" à cause de la langue, ils ont préparé de petits cadeaux et un mot pour leurs professeurs, en lieu et place des fleurs comme le veut la coutume ukrainienne.
Leur mère, Irina, 39 ans, qui a mis pour l'occasion un collier traditionnel, souligne que l'école est le premier stade de l'intégration.
Après six mois passés à vivoter dans le temporaire, Danylo sait désormais énumérer en allemand la liste des fournitures scolaires.
Mais le cadet a le mal du pays, se sent isolé.
Et l'aîné préfère traîner avec ses amis ukrainiens plutôt que de travailler, poussant sa mère à prendre rendez-vous avec sa proviseure.
Inquiète, Irina fait de son mieux pour que les garçons se sentent enfin chez eux.
Arrivés en catastrophe d'Irpin, dans la banlieue de Kiev, début mars, les Titkov ont accepté de raconter à l'AFP les étapes de leur nouvelle vie, dans un pays où plus d'un quart de la population est issue de l'immigration.
«Incapable» de faire la guerre
Venue à Vienne un peu par hasard, parce qu'Irina avait aimé "la beauté et le côté multiculturel" de cette ville découverte lors d'un voyage, la famille avait jusque là souvent songé à repartir.
C'est "compliqué de s'habituer à un nouveau pays, de comprendre les règles, la culture, de savoir à qui s'adresser", explique le père, Valerii, 43 ans.
Celui qui ne parlait pas anglais à son arrivée dit son "infinie reconnaissance" à tous ceux qui les ont soutenus.
En juin, ils étaient sur le point de rentrer.
Mais face aux nouvelles du front, où des proches sont restés combattre, les récits de crimes de guerre présumés, les décès d'amis, Irina était rongée par le mal-être et la culpabilité de ne pas pouvoir aider.
Puis les hostilités ont repris de plus belle et la famille s'est fait une raison.
"Quand je vois des images de soldats qui se battent, évidemment cela me fait énormément de peine", confie Valerii, un passionné de football à la carrure de sportif.
"Mais très honnêtement, je serais incapable de faire la guerre. Je ne peux même pas tuer un insecte", ajoute ce russophone qui a déjà dû fuir l'Azerbaïdjan, en guerre avec l'Arménie dans le Haut Karabakh, il y a 30 ans, après la chute de l'URSS.
Valerii a été autorisé à sortir d'Ukraine en tant que père de trois enfants.
Sur les 7 millions de déplacés enregistrés en Europe, d'après les derniers chiffres de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), peu d'hommes ont échappé à la mobilisation générale.
"Peut-être que c'est notre destin d'être ici, la chance d'explorer une autre culture", souffle Irina.
De réfugiés à «égaux»
Cette semaine, la famille a emménagé dans un coquet trois pièces avec vue sur une cour arborée, dans un quartier résidentiel à une demi-heure du centre.
C'est un soulagement pour Irina d'avoir enfin trouvé un chez-soi, où elle accueille avec de pelmenis (raviolis) accompagnés d'un bortsch fumant.
Hébergée jusqu'ici dans un logement trouvé par l'intermédiaire de connaissances, elle était lasse de la promiscuité, à cinq dans une unique pièce. Soucieuse aussi de "ne pas vivre pour toujours aux crochets" des autres.
"Le jour de mon anniversaire, j'ai reçu l'appel d'une association: ils avaient trouvé un appartement pour nous. Un miracle! ", raconte-t-elle les yeux brillants.
Pour un loyer de 400 euros par mois, son aîné a désormais sa propre chambre pour jouer à la guitare.
Les plus jeunes ont leurs lits superposés.
Et sur le balcon, un hamac invite à la rêverie, loin des épreuves des derniers mois.
"Cela nous donne un sentiment de réconfort", sourit Irina.
Pas facile de recommencer sa vie en exil, de perdre son pays, sa famille, son statut, son métier.
L'ex-professeure d'anglais a trouvé un travail de caissière dans une chaîne de restauration américaine. Son époux, qui était masseur-physiothérapeute en Ukraine, est devenu manutentionnaire pour le même établissement.
"C'est dur mais c'est de l'argent que je gagne moi-même, pas que je reçois de quelqu'un. On a le sentiment d'être égaux, utiles à la société, pas seulement des réfugiés" vivant d'aides sociales, dit-elle.
A la fin du mois, les deux parents feront à leur tour leur rentrée en prenant des cours d'allemand.