PARIS: Il est arrivé à scooter en pestant contre les pistes cyclables, Anne Hidalgo et les « bobos » parisiens. « Pfff, ça devient impossible de circuler dans cette ville », grommèle Jean-Pierre Versini-Campinchi. « Je suis toujours contre », justifie-t-il aussitôt en souriant, « c'est consubstantiel à l'avocature ».
Cette figure du barreau parisien parle d'expérience. Depuis cinquante-cinq ans qu'il porte la robe noire, il a promené son nom, ses nœuds papillons, ses chapeaux mous et sa gouaille au gré de quelques-unes des affaires les plus retentissantes de la chronique judiciaire.
Entre autres clients, il a défendu le géant des travaux publics Vinci, un fils de président, Jean-Christophe Mitterrand, et, plus récemment, le patron du rugby français Bernard Laporte.
A bientôt 81 ans, l'avocat a refermé provisoirement ses dossiers pour se pencher sur un cas au moins aussi tortueux, le sien.
Dans « Papiers d'identités » (Editions du Cerf), il raconte en 300 pages ses origines, sa vie et sa carrière en assénant au passage quelques-unes de ses vérités sur la France du XXIe siècle et son système judiciaire.
A le regarder de près, l'arbre généalogique de Me Versini-Campinchi est aussi biscornu qu'un cep des vignes de l'Aisne où il a grandi. Le patronyme de son Corse de père et la peau mate de sa mère antillaise ont fait de lui un... Gaulois.
« Le Gaulois c'est un symbole, une histoire, une culture, évidemment pas un physique », explique-t-il, « je me considère donc comme gaulois ».
« Identités tranquilles »
Son enfance de sang-mêlé fut éparpillée mais heureuse, assure l'octogénaire. Entre les champs de bataille de la Grande guerre à Ambleny (Aisne) où la famille de sa mère s'est installée, puis dans le village perché de Calcatoggio chez son père, parti en Argentine s'amouracher d'autres femmes.
« Ségrégation, communautarisme, intégration, assimilation étaient des mots inconnus », écrit-il dans son livre en décrivant ses « identités différentes comme un même long fleuve tranquille avec ses affluents ».
« Ce ne serait peut-être plus vrai aujourd'hui », s'inquiète Jean-Pierre Versini-Campinchi. « On est dans une situation de fracture. Et la cause est identifiée, c'est qu'on ne peut pas avaler des millions de personnes qui n'ont ni la culture, ni la religion de ceux qui vivent ici ».
« Et ça, ça n'a rien à voir avec le racisme », assure-t-il, « car lorsque ça n'est qu'une question de couleur et pas de culture, il n'y a plus de problème ».
Dans une famille qui « cumule deux cents ans d'avocature au barreau de Paris depuis plus d'un siècle », il y avait peu de chance que le jeune Jean-Pierre échappe au droit. Privé de sa mère, décédée à 44 ans, et éloigné de son père, incarcéré pour une affaire de fausse monnaie, il débute dans le cabinet d'un agréé auprès du tribunal de commerce.
Puis c'est le barreau. Le droit des affaires et les litiges entre entreprises et commerçants exclusivement, pendant plus de vingt ans.
Un « vieil avocat »
Jusqu'à ce qu'il tombe dans la « marmite pénale » à la demande d'un de ses partenaires de poker. « Je ne savais rien du pénal, j'ai découvert l'horreur », s'esclaffe-t-il, « quand vous faites du droit commercial, ce qui est écrit dans les livres est à peu près appliqué, au pénal non ».
Dans les années 1990, il intervient dans les affaires du financement du PCF et l'Angolagate, un scandale de ventes d'armes.
Il s'y fait une réputation en « donnant des claques » à une paire de magistrats qu'il récuse ou en ferraillant avec des juges d'instruction « pervers » qui « utilisaient la détention pour faire parler les suspects ».
Jean-Pierre Versini-Campinchi retire de ses apparitions médiatiques dans les prétoires quelques clients prestigieux mais peu de plaisir. « Les assises, c'est lent, fatigant, frustrant. Vous êtes obligés d'arracher la parole au président », rouspète-t-il, « j'ai pas de jouissance là-dedans ».
Le système judiciaire pénal français n'échappe pas à ses critiques. « En France, il nous faut un coupable à tout prix, c'est la porte ouverte à certains accidents », regrette l'avocat en citant le cas d'un de ses clients, Maurice Agnelet, condamné pour un meurtre qu'il a toujours nié.
S'il partage la volonté de réforme et le verdict de son ex-confrère devenu Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti sur « l'endogamie » des magistrats, il n'en envie pas le sort. « Je n'aurais jamais accepté son poste ».
Non, il préfère rester aussi longtemps que possible à sa place d'avocat.
De grand avocat ? « Un grand avocat, c'est celui qui a eu la chance d'avoir de grands dossiers et j'ai moins de talent que Dupond », dit Jean-Pierre Versini-Campinchi. « Je suis un vieil avocat. Mais être encore avocat à 80 piges, ça veut dire qu'on a duré. C'est déjà pas mal ».