FRANCFORT: La directrice de l'un des plus grands rendez-vous internationaux d'art contemporain, l'exposition allemande Documenta, a dû annoncer sa démission samedi après une controverse autour de contenus jugés antisémites qui ébranlent la manifestation depuis son ouverture en juin.
Un accord a été trouvé avec Sabine Schormann, pour "résilier (son) contrat", selon un communiqué publié samedi par le Conseil de surveillance de la Documenta. Une direction intérimaire doit être désignée.
Cette instance de contrôle s'est dite "profondément consternée" par l'exposition lors de l'ouverture de la manifestation en juin de "motifs clairement antisémites".
En cause: un grande fresque exécutée par un collectif d'artistes indonésiens, baptisé Taring Padi.
Il montrait une banderole peinte intitulée "People's Justice", où un soldat est représenté avec une tête de porc, une étoile de David et l'inscription "Mossad" sur son casque.
On y voyait aussi un homme aux longues dents, cheveux bouclés, un chapeau avec l'inscription des SS nazis et un cigare au coin de la bouche, rappelant les caricatures antisémites de juifs orthodoxes.
Cette oeuvre a été rapidement recouverte, suite à des demandes de retrait de l'ambassade d'Israël et des représentants des juifs d'Allemagne.
Faire la lumière
L'instance de contrôle de la Documenta a promis de faire toute la lumière sur cette affaire afin d'éviter d'autres "incidents antisémites" dans le monde culturel et artistique, poursuit le communiqué.
"Beaucoup de confiance a malheureusement été perdue" aux dépens de l'exposition, a-t-elle reconnu.
La ministre allemande à la Culture, Claudia Roth, a approuvé le départ de la directrice et demandé qu'un travail soit fait désormais pour savoir comment de tels contenus antisémites ont pu être exposés. Il faut "tirer les conclusions nécessaires", a-t-elle dit au quotidien Frankfurter Rundschau.
Le directeur de l'antenne berlinoise de l'American Jewish Committee, Remko Leemhuis, a reproché pour sa part dans le quotidien Bild à l'instance de contrôle de la Documenta de ne pas aller assez loin.
Elle "n'a toujours pas compris le problème", a-t-il estimé, s'indignant du fait que le conseil de surveillance de l'exposition parle seulement en introduction de son communiqué d'"accusations d'antisémitisme".
Pour lui, il s'agit clairement de "caricatures antisémites".
Polémiques en série
La foire d'art s'était déjà ouverte par une autre polémique voisine: un collectif palestinien présent à l'exposition, The Question of Funding, très critique envers l'occupation israélienne, a été accusé d'être lié au mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS).
Celui-ci prône le boycott d'Israël en raison de son occupation des Territoires palestiniens.
Le BDS a été étiqueté comme "antisémite" par le parlement allemand en 2019 et n'a pas le droit de toucher d'argent public. Or, environ la moitié du budget de la Documenta – 42 millions d'euros – provient de l'Etat fédéral.
Cette année, les organisateurs de la Documenta avaient voulu donner davantage de visibilité aux créateurs des pays du "Sud" et élargir l'horizon artistique de la manifestation.
Il avaient ainsi nommé comme curateur un collectif d'artistes originaires de Jakarta en Indonésie, "Ruangrupa". Taring Padi faisait partie de leur programme.
Le scandale est un coup dur pour ce rendez-vous majeur de l'art contemporain mondial, dont la première édition a eu lieu en 1955.
La jeune République Fédérale d'Allemagne voulait à l'époque apporter une réponse tranchée à la propagande nazie sur l'Art dégénéré ("Entartete Kunst") exhibée avant la Seconde guerre mondiale. Cette exposition d'envergure internationale se déroule tous les cinq ans et celle qui s'est ouverte en juin constitue la quinzième édition.
La Documenta montre en une trentaine d'endroits de la ville et pendant cent jours des œuvres de plus de 1.500 artistes qui devraient attirer un grand public.