TANGER: L'affaire Jacques Bouthier, ex-patron français accusé avec plusieurs de ses collaborateurs de harcèlement sexuel par de jeunes employées à Tanger, ne cesse de prendre de l'ampleur au Maroc, avec une nouvelle plainte, une garde à vue et des témoignages incriminants.
"Au total, sept plaintes sont déposées contre (Jacques) Bouthier et ses complices. Les victimes ont décidé de briser la loi du silence et d'autres suivront aussi", a déclaré à l'AFP Me Abdelfattah Zahrach, un avocat des plaignantes, lors d'une conférence de presse à Tanger.
Jusqu'à aujourd'hui, six Marocaines avaient porté plainte.
Par ailleurs, "un septième suspect de nationalité française a été placé en garde à vue. Il sera présenté dans la journée (samedi) devant le procureur général du roi", a précisé de son côté l'avocate Aïcha El Guella, la présidente de l'Association marocaine des droits des victimes (AMDV) qui organisait la conférence de presse.
Le 6 juillet, cinq collaborateurs de M. Bouthier avaient été traduits devant un juge d'instruction et mis en détention provisoire à la suite de plaintes d'anciennes employées de succursales du groupe Assu 2000 (rebaptisé Vilavi en janvier) dans la cité portuaire du nord du Maroc.
Un sixième inculpé a été laissé en liberté.
Ils sont accusés de "traite d'êtres humains", "harcèlement sexuel", "attentat à la pudeur" et "violences verbales et morales".
Ces six salariés du groupe -- cinq Marocains, dont deux femmes, et un Français -- auraient "recruté et préparé psychologiquement les filles pour la venue du patron" et "justifiaient les agissements déplacés (de M. Bouthier)", selon une autre avocate membre de l'AMDV, Karima Salama.
Les faits présumés se sont produits entre 2018 et avril 2022 dans la filiale marocaine du géant français du courtage.
"Jacques Bouthier et ses collaborateurs sont en réalité une bande criminelle organisée", a accusé samedi la présidente de l'AMDV avant d'ajouter: "Il a cru qu'il pouvait exploiter sexuellement de jeunes femmes en toute impunité".
L'enquête en cours "va révéler d'autres victimes et d'autres complices", a-t-elle assuré.
«Campagne d'intimidation»
Plusieurs plaignantes ont déjà fait état de harcèlement sexuel systématique, de menaces et d'intimidations au sein d'Assu 2000 à Tanger, et ce dans un climat de précarité sociale.
Elles ont dit avoir été licenciées après avoir refusé de "céder au harcèlement et au chantage" de M. Bouthier "et de ses complices" parmi les cadres français et marocains de la société d'assurances implantée à Tanger.
Des confessions rares au Maroc où les victimes d'abus sexuels restent souvent stigmatisées par la société.
Samedi, lors de la conférence de presse, les jeunes femmes -- témoignant sous couvert de l'anonymat, leur identité protégée par des lunettes noires et le masque sanitaire -- ont dénoncé une "campagne d'intimidation dans les médias et sur les réseaux sociaux" menée par "le clan Bouthier".
"Le cauchemar continue, ils (ndlr: des responsables de l'entreprise) nous ont menacées, insultées et même tenté de nous soudoyer mais sans succès!", a raconté l'une d'elles.
Tandis qu'une autre a renchéri: "J'avais vraiment peur des représailles. J'ai vu qu'ils sont capables de tout".
"Malgré les difficultés, nous n'allons pas reculer. On ne s'arrêtera qu'une fois que la +mafia Bouthier+ sera derrière les barreaux", a-t-elle juré.
En France, la justice a mis en examen fin juin deux hommes, dont un policier, dans l'enquête pour traite des êtres humains et viols sur mineure dans laquelle M. Bouthier est incarcéré.
Ce puissant homme d'affaires de 75 ans a été mis en examen en mai à Paris à l'issue d'une enquête préliminaire ouverte mi-mars, avec cinq autres personnes, notamment pour traite d'êtres humains et viols sur mineure.
L'ex-chef d'entreprise est aussi poursuivi pour association de malfaiteurs en vue de commettre le crime d'enlèvement et séquestration en bande organisée et détention d'images pédopornographiques.
En 2020, le magazine Challenges classait Jacques Bouthier 487e dans son classement des principales fortunes de France, avec un patrimoine estimé à 160 millions d'euros. Il est sorti du classement en 2021.