KIEV: Le secrétaire général de l'ONU s'est dit "atterré" et l'Union européenne a dénoncé de nouvelles "atrocités" jeudi après des frappes russes sur une ville du centre de l'Ukraine qui ont fait au moins 23 morts, un "acte ouvertement terroriste" pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
A Vinnytsia, une ville très éloignée des lignes de front, bien à l'ouest de la capitale Kiev, les images publiées par le service ukrainien des Situations d'urgence montraient des dizaines de carcasses de voitures calcinées et un immeuble d'une dizaine d'étages ravagé par l'explosion et l'incendie ayant suivi.
Les secours ukrainiens ont fait état jeudi soir de 23 morts, 29 disparus, 71 personnes hospitalisées et plus d'une centaine de blessés soignés sur place.
Selon l'armée ukrainienne, "trois missiles" ont touché le parking et cet immeuble commercial du centre de la ville, abritant des bureaux et de petits commerces. Ils ont été tirés depuis des sous-marins en mer Noire, a précisé le porte-parole de l'armée de l'air ukrainienne Iouri Ignat.
"Cette journée démontre une nouvelle fois que la Russie doit être reconnue officiellement comme un Etat terroriste. (...) Aucun autre pays au monde ne se permet de détruire chaque jour des villes paisibles et des vies humaines ordinaires avec des missiles de croisière et de l'artillerie", a déclaré jeudi soir le président ukrainien Volodymyr Zelensky, soulignant qu'un centre médical avait été détruit.
Il a précisé que trois enfants de moins de dix ans figuraient parmi les 23 morts, "et ce n'est malheureusement pas le nombre final" car "des dizaines de personnes sont portées disparues" et il y a des "blessés très gravement".
Il a réclamé de nouveau la création d'un tribunal spécial ainsi qu'un "mécanisme de compensation" et de nouvelles sanctions contre Moscou, estimant qu'il était "temps que le monde démocratique consacre tout cela dans des instruments légaux appropriés".
Plus tôt, il avait dénoncé le fait que "la Russie tue des civils, tue des enfants ukrainiens, tire des missiles sur des cibles civiles où il n'y a rien de militaire. Qu'est-ce que c'est, si ce n'est un acte ouvertement terroriste?".
Le ministère russe de la Défense, cité sur Telegram par la rédactrice en chef du groupe de médias public Rossia Segodnya, Margarita Simonian, a affirmé avoir visé à Vinnytsia "la Maison des officiers, où des nationalistes avaient été déployés".
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres s'est dit "atterré", rappelant que l'organisation condamnait "toute attaque contre des civils ou des infrastructures civiles", selon son porte-parole.
L'UE a fustigé le "comportement barbare" de la Russie.
"Ces atrocités à Vinnytsia sont les dernières d'une longue série d'attaques brutales visant les civils et les infrastructures civiles", ont indiqué dans un communiqué le chef de la diplomatie de l'UE Josep Borrell et le commissaire européen à la gestion des crises Janez Lenarcic. "Il ne peut y avoir aucune impunité pour les violations et crimes commis par les forces russes et leurs responsables politiques".
Tribunal spécial
Ces nouvelles frappes sont intervenues précisément au moment où se préparait à La Haye une conférence sur les crimes commis en Ukraine organisée par la Cour pénale internationale (CPI), la Commission européenne et les Pays-Bas.
Dans une intervention en visioconférence, Volodymyr Zelensky a appelé à la création d'un "tribunal spécial" chargé de juger "les crimes de l'agression russe contre l'Ukraine".
Au même moment, l'OSCE s'est alarmée du traitement infligé par Moscou aux civils ukrainiens dans des "camps de filtrations" pour déterminer d'éventuels liens avec les forces armées. "Si c'est le cas, ces personnes sont séparées des autres et souvent disparaissent purement et simplement", soulignent les experts de l'OSCE dans un rapport.
Depuis plusieurs semaines, les frappes russes loin des lignes de front étaient relativement rares.
Mais la guerre fait désormais rage autour de villes comme le port stratégique de Mykolaïv (sud), proche de la mer Noire, qui a été touché tôt jeudi matin par une "frappe massive de missiles" pour le second jour consécutif.
L'Ukraine a de son côté lancé depuis plusieurs semaines une contre-offensive pour reprendre Kherson, unique capitale régionale capturée par Moscou depuis le 24 février. Si la ligne de front reste relativement stable, ces attaques sont de plus en plus puissantes, avec de nouveaux systèmes de roquettes américains et européens, ciblant les dépôts d'armes.
Victoire totale
Les principaux combats restent toutefois concentrés sur l'est de l'Ukraine et le Donbass, bassin industriel et minier que Moscou a promis de conquérir entièrement.
Selon le gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï, "les attaques massives d'artillerie et de mortier se poursuivent (et) les Russes tentent de percer vers Siversk et d'ouvrir la voie vers Bakhmout", où un civil est mort dans des bombardements dans la nuit de mercredi à jeudi.
Les séparatistes prorusses soutenus par Moscou affirment de leur côté être proches d'y remporter une nouvelle victoire, quelques jours après avoir pris plusieurs villes d'importance.
"Siversk est sous notre contrôle opérationnel, ce qui signifie que l'ennemi peut être touché par nos tirs dans toute la zone", a déclaré un responsable séparatiste, Daniïl Bezsonov, cité par l'agence de presse russe TASS.
L'AFP n'était pas en mesure de confirmer de façon indépendante cette information.
Un peu plus au nord, dans la région d'Izioum, "on creuse quand c'est calme, on se cache quand ça tire", confiait à l'AFP un soldat ukrainien dans des tranchées labyrinthiques de plusieurs dizaines de mètres de longueur construites par l'armée ukrainienne, au son des tirs d'artillerie.
Un des officiers déclarait toutefois que "la situation est sous contrôle", affirmant que l'armée russe n'avançait plus dans cette zone et que l'objectif pour l'Ukraine était désormais "la victoire totale".
Espoir sur les céréales
Mercredi, au cours d'une réunion d'experts militaires à Istanbul, la Russie et l'Ukraine ont par ailleurs progressé sur l'épineuse question du blocage des exportations de céréales à partir des ports ukrainiens.
Des "progrès réellement substantiels" ont été réalisés, a commenté Antonio Guterres, espérant qu'un "accord formel" puisse être prochainement conclu et évoquant "une lueur d'espoir pour soulager la souffrance humaine et la faim dans le monde".
La négociation lancée il y a plus de deux mois vise à exporter par la mer Noire quelque 20 millions de tonnes de céréales bloquées dans des silos ukrainiens, en particulier à Odessa, tout en facilitant les exportations russes de grains et d'engrais.
L'Ukraine est l'un des principaux exportateurs mondiaux de blé et d'autres céréales et le temps presse, face à la hausse mondiale des prix des denrées alimentaires qui fait peser des risques de famine, notamment sur l'Afrique.
La guerre en Ukraine est le "plus grand défi" pour l'économie mondiale, a estimé jeudi la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen, avant une réunion du G20 en Indonésie.
Pas de restrictions à la vente de matériel agricole à Moscou, dit Washington
Les Etats-Unis ont dit jeudi qu'ils n'interdiraient pas la vente de matériel agricole à la Russie, niant à nouveau les allégations de Moscou selon lesquelles les sanctions occidentales -- et non son invasion de l'Ukraine -- sont à l'origine de la crise alimentaire mondiale.
Le département du Trésor, dans un document officiel sur les exemptions de sanctions, a indiqué qu'il ne stopperait pas les transactions américaines liées à la production, à la vente ou au transport d'équipement agricole.
Conformément aux règles précédentes établies après l'invasion du 24 février, le Trésor a également dit qu'il n'interdirait pas les produits agricoles tels que les engrais, ni les appareils médicaux et les tests Covid-19.
Les cours du pétrole ont d'ailleurs brièvement dévissé de plus 5% jeudi, retombant à des niveaux plus vus depuis le début de la guerre, emportés par les craintes de récession mondiale dans un contexte d'inflation record aux Etats-Unis et en zone euro.
Le président Emmanuel Macron a averti que le conflit en Ukraine allait "durer" et que les Français devaient se préparer à se passer du gaz russe, dont Moscou se sert comme "arme de guerre".