PARIS/ KIEV: Il était l'un des dirigeants en pointe du soutien occidental à Kiev : la chute du Premier ministre britannique Boris Johnson ne devrait toutefois pas remettre en question l'appui de Londres dans le cadre de la guerre qui continue de faire rage en Ukraine, estiment analystes et observateurs.
« La ligne demeurera, le style sera différent », considère Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France au Royaume-Uni et en Russie. « Le soutien à Kiev est une position qui est très partagée au Royaume-Uni donc ça ne devrait pas changer ».
« Quiconque aurait été Premier ministre aurait fait peu ou prou la même chose, Johnson y a apporté son propre style, mais c'est une politique qui lui survivra », abonde Lord Peter Ricketts, ex-conseiller britannique à la sécurité et ancien ambassadeur du Royaume-Uni en France.
Un avis également partagé par Bertrand Badie, spécialiste français des relations internationales, qui s'attend à un « tournant dans le style de la diplomatie de Johnson » mais une continuité concernant « le fond et la consistance même de la politique étrangère ».
En quatre mois, le locataire du 10 Downing Street se sera imposé, à coup de tribunes, de visites surprises à Kiev et de vibrants plaidoyers, comme un défenseur inlassable de l'Ukraine - s'attirant en retour les foudres de Moscou.
Sans surprise, la Russie a été l'un des premiers pays à réagir officiellement dès les premiers signes, jeudi, de la chute du Premier ministre britannique, ébranlé depuis des mois par une série de scandales sur la scène nationale.
« Nous espérons, qu'un jour, des gens plus professionnels et en mesure de prendre des décisions à travers le dialogue arriveront au pouvoir en Grande-Bretagne », a tancé le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.
Le Premier ministre britannique, qui a annoncé dans l'après-midi sa démission du parti conservateur, ouvrant la voie à son remplacement à la tête du gouvernement, « ne nous aime pas beaucoup et nous non plus », a-t-il ajouté.
Zelensky exprime sa «tristesse» face au départ de Johnson
Le chef de l'Etat ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé jeudi Boris Johnson au téléphone pour lui dire sa « tristesse » face à son départ de la présidence du parti conservateur britannique, a indiqué la présidence ukrainienne dans un communiqué.
« Nous tous avons accueilli cette nouvelle avec tristesse. Pas seulement moi, mais aussi toute la société ukrainienne qui sympathise beaucoup avec vous », a déclaré M. Zelensky, avant d'insister sur la reconnaissance des Ukrainiens pour le soutien du Premier ministre britannique dans le contexte de l'invasion russe.
M. Johnson était l'un des hommes politiques occidentaux les plus résolus et les plus éloquents dans son soutien à Kiev.
« Nous ne doutons pas que le soutien de la Grande-Bretagne continuera, mais votre leadership personnel et votre charisme l'ont rendu spécial », a encore écrit le président ukrainien.
L'entretien téléphonique a porté également sur la coopération militaire et politique entre les deux pays et sur les négociations en vue de débloquer les exportations des céréales à partir des ports ukrainiens, a précisé la présidence.
« Dieu en Ukraine »
Cette réaction rapide, qui tranche avec le prudent silence diplomatique observé à ce stade par les partenaires internationaux de Londres, n'a rien d'étonnant tant l'activisme de Boris Johnson ces derniers mois a contrarié Moscou.
« Le Royaume-Uni continuera à soutenir le combat de l'Ukraine pour la liberté aussi longtemps qu'il le faudra », a réaffirmé jeudi le Premier ministre.
Sous son impulsion, la Grande-Bretagne a été l'un des premiers pays à fournir des armes létales à Kiev et a depuis encore considérablement renforcé son soutien militaire.
Fin juin, une nouvelle enveloppe d'un milliard de livres (1,16 milliard d'euros) d'aide supplémentaire à l'Ukraine a été débloquée, comprenant des systèmes de défense anti-aérienne et des drones, et portant à 2,3 milliards de livres l'aide militaire britannique totale à Kiev.
Ces annonces se sont accompagnées de plaidoyers appuyés au sein des enceintes internationales et de tribunes dans lesquelles Boris Johnson a appelé les autres soutiens de Kiev à « garder leur sang-froid ».
Les autorités ukrainiennes ne s'y sont pas trompées - jeudi, moins d'une heure après l'annonce de la démission de Boris Johnson comme chef du parti conservateur, la présidence ukrainienne l'a remercié d'avoir été « à l'avant-garde » du soutien à Kiev « dans les moments les plus difficiles ».
Boris Johnson a « été ferme dans son soutien à l'Ukraine. Comme un ami m'a dit, 'il est comme un dieu en Ukraine' », a tweeté Alina Polyakova, directrice du Center for European Policy Analysis (CEPA).
« Surenchère »
Londres n'est toutefois pas la seule capitale à s'être démenée pour apporter un soutien financier et militaire à Kiev, rappellent les spécialistes interrogés par l'AFP.
« Sur l’Ukraine, que Boris Johnson veuille apparaître très en avance ou comme il dit 'leading the world', c'est un fait mais ce n’est pas du tout une réalité », note Sylvie Bermann. Boris Johnson est connu pour faire « tout avec emphase, il se met en scène en permanence ».
« Il y a eu un peu de surenchère dans l'approche britannique », dans la détermination »à montrer aux autres Européens que nous pouvons faire plus qu'eux », renchérit Lord Peter Ricketts.
En attendant la nomination du prochain ou de la prochaine Première ministre, la situation en Ukraine reste entre les mains du ministre de la Défense Ben Wallace, l'un des rares membres du gouvernement à ne pas avoir démissionné.
« Un certain nombre d'entre nous ont l'obligation d'assurer la sécurité de ce pays », a-t-il expliqué sur Twitter. L'opinion publique « ne nous pardonnerait pas si nous laissions ces bureaux vides. »