BEYROUTH: Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle le 3 novembre, le président américain Donald Trump aura un souci de moins sur sa liste de préoccupations: celui d’être accusé d'avoir quitté le Moyen-Orient dans un état pire qu'il ne l’avait hérité. À en juger par les conclusions de l'enquête panarabe Arab News/YouGov, cet honneur douteux reviendrait à son prédécesseur, Barak Obama, dont le vice-président Joe Biden est le rival de Trump aujourd’hui.
En un mot, l'étude montre que les Arabes apprécient la main de fer de Trump dans son traitement du régime iranien, mais qu'ils s'opposent à sa décision, en 2018, de transférer l'ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem. Et même s'il n'est pas considéré meilleur que son adversaire démocrate pour la région arabe, un plus grand nombre de sondés le connaissaient mieux que Biden. Certaines de ses politiques ont aussi été bien accueillies dans certaines régions du monde arabe.
Il est révolu ce temps où l’occupant de la Maison Blanche pouvait briguer un second mandat en raison de sa performance en politique étrangère. Mais il est indéniable que les États-Unis restent une puissance mondiale dont les décisions affectent la vie des gens de l’Amérique centrale jusqu'au Moyen-Orient, et ce que le monde arabe attend d'une future administration américaine ne peut être sous-estimé.
Largement couvert par les médias d’information arabes, la première grande nouvelle de 2020 a été l’élimination du général de division iranien Qassem Soleimani, chef de l'unité d'élite des forces Al-Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Soleimani était attendu chez le Premier ministre irakien lorsqu'il a été tué dans une frappe de drone américain près de l'aéroport de Bagdad le 3 janvier.
L’enquête montre que l'opinion dans le monde arabe est partagée sur l'impact du meurtre sur la région. Les personnes interrogées au Yémen se sont montrées très favorables à la frappe, une mesure positive pour 71% des personnes interrogées, tout comme de nombreux habitants d'Arabie saoudite (68%) et d'Irak (57%). En revanche, 59% des personnes interrogées au Liban et 62% au Qatar estiment son impact néfaste pour la région.
«Le sondage évalue avec précision les intérêts des États arabes», a déclaré le Dr. John Hulsman, président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, un cabinet de conseil mondial reconnu en matière de risques politiques.
«Pour ceux qui le connaissaient, Soleimani faisait partie du problème en Irak… en tant que satrape (vice-roi) d'Iran. Ils sont aux anges en Irak à présent, ils ont un Premier ministre vaguement réformiste, vaguement toléré par l'Iran et les États-Unis. Cela n'aurait jamais pu arriver avec Soleimani encore en place».
En outre, Hulsman a déclaré : «Si vous vivez dans un endroit avec une base américaine dans la région (comme le Qatar), alors l'assassinat de Soleimani pourrait indiquer que vous êtes la prochaine cible. Personne ne croit que les Iraniens vont oublier que Soleimani est mort».
Dans ce contexte, pourquoi 40% des répondants à l'enquête Arab News / YouGov ont-ils donc déclaré que Biden serait meilleur président à servir les intérêts du Moyen-Orient, par opposition aux 12% de Trump?
D'une part, soulignent les analystes, un nombre encore plus élevé, 49%, estime qu'aucun des deux candidats ne serait meilleur pour la région.
De plus, ils notent qu'un peu plus de la moitié des personnes interrogées (53%) ont déclaré connaître Biden, contre 90% pour Trump. Et les points marqués par Trump en adoptant une ligne dure sur le problème iranien se voient retirés par le transfert de l'ambassade à Jérusalem, décision à laquelle 89% des répondants sont opposés.
Selon David Romano, professeur de politique du Moyen-Orient à l’institut Thomas G. Strong de l’Université d’État du Missouri, l’Iran reste la question clé pour comprendre le mauvais arrière-goût laissé par l’administration Obama. «En ce qui concerne les États arabes, Biden ressemble beaucoup à Obama», a-t-il déclaré à Arab News. «Les gens ne sont pas sûrs qu'il soit fiable, ou s’il va les sacrifier comme beaucoup pensent qu'Obama a sacrifié Hosni Moubarak (l'ancien président égyptien)».
Trump pourrait même amener la stabilité au Moyen-Orient, en comparaison. «Trump a tenu parole, il a envoyé plus de troupes en Arabie saoudite et il a raffermi le ton avec l’Iran », a déclaré Romano.
On peut donc présumer qu’environ un cinquième des résidents du CCG estiment que le retrait de Trump du Plan d'action global conjoint (JCPOA) de l'ère Obama, connu sous le nom d'accord nucléaire iranien, a renforcé la sécurité dans la région. C’est le cas de 26% des ressortissants saoudiens.
De leur côté les résidents de pays liés malgré eux à l'Iran veulent une position agressive de la part du prochain président américain, avec des sanctions renforcées et une préparation à la guerre. Ceux-là sont l'Irak (53%), le Yémen (54%) et l'Arabie saoudite (49%).
«L’équipe Trump arrive et décide que les efforts d’Obama, le JCPOA en particulier, sont désastreux car ils financent toute une liste de personnes qui ne veulent pas de l’Amérique dans la région, et qui ne veulent pas de stabilité. Ils veulent juste du pouvoir», a déclaré Hulsman.
Une source de peur est que Biden freine la «pression maximale» que Trump a mise sur l'Iran. «Du point de vue du Moyen-Orient, c'est l'un de ces moments qui ressemble à un coup de fouet. Si vous vivez dans la région, c'est de la diplomatie inconstante, en zig-zag », a déclaré Hulsman.
Les analystes ne sont pas les seuls à être profondément sceptiques quant à la position de Biden sur l’Iran. Beaucoup craignent un retour à l’approche d’Obama, vue comme faible et indécise.
Agop K., un avocat libano-arméno-américain qui vit à Beyrouth mais pratique le droit aux États-Unis, a déclaré: «Nous avons besoin d'une main de fer ici au Moyen-Orient, malheureusement. Et Trump représente cette force». Il a ajouté à Arab News: «Il faut garder la pression sur l'Iran, sanctionner le pays et couper tout financement. Ceci nous aiderait sur toute la ligne au Liban. Si je voulais voter pour Trump, c'est l'une des principales raisons pour lesquelles je le ferais».
Twitter: @rebeccaaproctor
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com