MONTPELLIER: Renouée du Japon ou canne de Provence: ces plantes ornementales, d'origine exotique, devenues envahissantes dans presque toute l'Europe, se sont trouvées un débouché industriel à Montpellier dans le laboratoire de la chimiste Claude Grison qui les valorise sous forme "d'éco-catalyseurs", très demandés par l'industrie pharmaceutique et cosmétique en quête de naturalité.
Au pied de son laboratoire du CNRS, ChimEco, juste à côté du parking, une petite équipe s'active à couper les immenses tiges drues et vigoureuses de la canne de Provence.
La plante "prolifère de façon incontrôlée dans les zones humides", souligne Mme Grison. Elle est aussi très inflammable, et sert de conducteur aux incendies qui se multiplient dans le sud.
"Notre volonté est de sortir du schéma de +guerre+ contre les plantes envahissantes", explique la chimiste, qui étudie au total 75 plantes différentes et a mis en évidence pour certaines d'entre elles les propriétés dépolluantes de l'eau ou des sols.
Ses travaux ont été sélectionnés -au milieu d'une quinzaine d'autres- par l'Office européen des brevets (OEB) pour concourir au prix de scientifique de l'année, qui devrait être annoncé mardi.
«La demande est très forte»
Au lieu de tenter -vainement- d'éliminer les racines de la plante, l'équipe du CNRS cherche à "épuiser" la plante en la coupant régulièrement, tout en lui trouvant un débouché économique, qui lui-même financera d'autres recherches. Elle mêle ainsi deux disciplines distinctes, l'écologie qui permet une bonne connaissance de la plante et de son fonctionnement, et la chimie, qui identifie les éléments qui la composent et lui trouvent une utilité.
"Nous avons choisi de faucher les parties aériennes (tiges et feuilles, NDLR) et de les valoriser pour qu'elles deviennent utiles dans un autre domaine", explique-t-elle. Dans cette optique, elle a fondé la société BioInspir, qui utilise sous licence les brevets de son labo pour fabriquer des éco-catalyseurs.
Idem pour la renouée du Japon "qui envahit toute l'Europe, du Royaume-Uni à la Russie". "Avec des fauches répétées et très bien contrôlées des parties aériennes, on a démontré que l'on finissait par épuiser ses ressources en nutriment" et "contrôler sa prolifération", dit la chimiste, qui a travaillé avec un écologue.
Les tiges et feuilles de la plante sont mises au four à haute température. Le traitement thermique détruit une grande partie de la matière organique, ne laissant que des bouts de tiges calcinés réduits en poussière.
Cette poudre végétale est nommée "éco-catalyseur", indique Andreii Stanovych, ingénieur en biologie chez BioInspir.
En chimie, un catalyseur est un élément qui permet par sa simple présence de faire avancer une réaction, voire de la provoquer, par exemple de transformer une molécule simple en une molécule plus complexe lorsqu'ils sont mis ensemble. Le plus souvent dans l'industrie, ces catalyseurs sont d'origine pétrochimique ou minérale.
Mme Grison et ses équipes ont déposé au total 36 brevets différents d'éco-catalyseurs végétaux en se basant sur leurs propriétés, qui varient selon les espèces.
Certaines poudres permettent de dépolluer l'eau ou des sols miniers en stockant les métaux lourds. Claude Grison a inventé des éco-catalyseurs à partir de feuilles d'arbres gorgées de nickel en Nouvelle Calédonie, démontrant au passage une technique de restauration des sols miniers sur quelque 6 hectares.
La racine de la renouée du Japon est pour sa part "surdosée en potassium".
Par ses simples caractéristiques physiques, la poudre de feuilles et tiges de renouée du Japon permet à une huile végétale de devenir un émollient naturel pour shampooing, sans ajout d'autres éléments chimiques.
"Nous sommes en cours d'industrialisation à grande échelle, on estimait initialement faire une récolte sur la saison de 3-4 tonnes de renouée, mais on pense dépasser très largement ces quantités" dit-elle. Les cosmétiques ont depuis longtemps senti le filon, les parfums aussi. "La demande est très forte", assure la chimiste.