DAKAR : Le principal opposant est resté campé samedi au Sénégal sur une ligne de confrontation avec le pouvoir au lendemain de violences qui ont fait trois morts et conforté les craintes d'une escalade jusqu'aux législatives dans six semaines.
Ousmane Sonko a sommé le président Macky Sall de libérer les membres de l'opposition arrêtés, faute de quoi leurs supporteurs viendront "chercher ces otages politiques, coûte ce que cela devra coûter", a-t-il dit sur Facebook.
Au même moment, les Sénégalais se divisaient sur les responsabilités dans les évènements de la veille et sur les moyens de stopper l'engrenage dans un pays souvent considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest, même s'il n'a pas été étranger pour autant aux violences politiques par le passé. Différentes voix se sont élevées pour reprocher au pouvoir son intransigeance.
Dakar et la Casamance (sud) ont été le théâtre d'affrontements vendredi quand des jeunes ont défié l'interdiction de se rassembler pour protester contre l'invalidation d'une liste de candidats de l'opposition aux élections du 31 juillet. Les heurts ont fait un mort dans la capitale et deux autres en Casamance, dont au moins deux n'étaient pas parties prenantes aux protestations selon les médias.
Trois personnalités d'opposition, Déthié Fall, Ahmet Aïdara et Mame Diarra Fame, ont été arrêtées vendredi. Une autre figure de la contestation, Guy Marius Sagna a été interpellé samedi en Casamance, selon son frère.
Les autorités sont restées jusqu'alors silencieuses sur les dégâts humains et matériels ainsi que sur la réponse policière.
Les policiers ont bloqué chez eux vendredi Ousmane Sonko et un autre ardent contempteur du président, le maire de Dakar Barthélémy Dias, pour les empêcher de mettre à exécution leur projet d'aller manifester malgré l'interdit.
M. Dias restait coincé chez lui samedi par les policiers, a dit à l'AFP un membre de son entourage sous couvert d'anonymat. "L'état de siège" a en revanche été levé autour de chez M. Sonko, a dit le porte-parole de son parti, Ousseynou Ly.
Sur les réseaux sociaux, M. Sonko a accusé Macky Sall d'être "un président assassin", en invoquant la douzaine de personnes au moins tuées lors d'émeutes en mars 2021.
Il a une nouvelle fois dénoncé "l'obsession" qu'il prête au président de briguer un troisième mandat en 2024. M. Sall entretient le flou sur ce sujet. M. Sonko, troisième de la présidentielle en 2019, est candidat à celle de 2024.
«Bord du précipice»
L'opposition lie la séquence actuelle, au-delà des législatives, à l'échéance de 2024. Le pouvoir, pour éliminer la concurrence, se sert des institutions comme le Conseil constitutionnel, affirme-t-elle, ce que le pouvoir récuse.
Après des semaines d'imbroglio, le Conseil a confirmé le 3 juin l'invalidité d'une liste nationale de la coalition Yewwi Askan Wi pour les législatives. Cette décision écarte de la course M. Sonko et d'autres opposants.
L'opposition a manifesté une première fois pacifiquement le 8 juin. Elle a alors menacé d'empêcher la tenue des législatives si sa liste n'était pas rétablie. Elle a appelé à un nouveau rassemblement pour vendredi. Cette fois, les autorités l'ont interdit, invoquant le risque de troubles et faisant aussitôt redouter un accès de tension.
Ces craintes se sont vérifiées et les interrogations sont allées bon train sur le caractère évitable ou non des violences.
"Quand les manifestations sont interdites, on a une répression brutale qui fait des morts et des dégâts matériels. Interdiction = désordre, morts, dégâts", a tweeté Alioune Tine, grande figure de la défense des droits humains.
Du côté de la majorité présidentielle, Bamba Fall, maire de la Médina, une des communes de Dakar, a fustigé de la part de l'opposition une stratégie consistant à "mettre le pays sens dessus dessous". Pour lui, les autorités ont délivré un message de fermeté: "Ousmane Sonko sait maintenant que rien ne sera plus comme avant", a-t-il dit au site d'informations Dakaractu.
La liste AAR Sénégal, qui se revendique comme une troisième voie, a renvoyé dos à dos Yewwi et la majorité présidentielle, accusées dans un communiqué de prendre le pays "en otage".
Aucun camp n'a donné de signe de vouloir transiger.
Maurice Soudieck Dione, professeur de science politique, veut cependant croire qu'on "a encore des voies de sortie de crise si les deux camps ne se radicalisent pas".
"Au Sénégal, on aime bien jouer au bord du précipice, mais le peuple sénégalais a su faire preuve de maturité, y compris en 2000 (fin de 40 ans de pouvoir socialiste) et 2012 (contestation d'un 3ème mandat d'Abdoulaye Wade), et au bout du compte on a voté", a-t-il dit à l'AFP en préconisant la recherche par le dialogue d'une solution politique.