Dans un témoignage poignant qu’il a livré lors d'une audience du Congrès américain ce mois-ci, un Syrien surnommé « le fossoyeur » a décrit les atrocités dont il a été témoin lorsqu'il a été forcé de travailler dans une fosse commune en Syrie de 2011 à 2018.
Son témoignage – des camions arrivant deux fois par semaine chargés de 600 corps de victimes de tortures, de bombardements et de massacres, et d’au moins 40 corps de civils exécutés en prison – porte un coup de grâce à tous ceux, aux États-Unis, qui souhaitent réhabiliter Bachar Assad, ainsi qu’aux espoirs de fournir du gaz au Liban via la Syrie.
Le Liban plongera dans l’obscurité dès la fin de l’été. L'accord en vertu duquel l'Irak a fourni au pays un million de tonnes de fuel l'année dernière expire bientôt, et Bagdad n’a pas l’intention de le renouveler. Au sein du parlement libanais, malgré le succès relatif des candidats de l’opposition aux élections de mai, l'élite établie bloquera toute tentative d'adoption des réformes exigées par le FMI en contrepartie du sauvetage financier dont le pays a désespérément besoin.
Les élections ont abouti à un parlement fragmenté, incapable d’atteindre un consensus. Si les groupes de l’opposition sont censés travailler de concert, ils n’en sont pas moins divisés sur plusieurs questions, principalement les armes du Hezbollah – que certains veulent aborder en priorité, tandis que d'autres y voient une question régionale et préfèrent s'attaquer aux défis qui affectent les conditions de vie de leurs concitoyens. Cette division s'est notamment manifestée lors du vote pour la présidence du Parlement, qui a abouti au maintien de Nabih Berri dans ses fonctions.
L'élite libanaise avait largement misé sur un accord signé en septembre dernier pour que le gaz naturel égyptien soit acheminé au Liban via le gazoduc arabe, vieux de 20 ans, qui traverse la Jordanie et la Syrie, mais cela nécessiterait que les États-Unis allègent ou lèvent les sanctions imposées au régime Assad en Syrie en vertu de la loi César – et le témoignage du « fossoyeur » est venu enterrer ces espoirs.
Plus encore, la composition du Congrès américain changera probablement après les élections de mi-mandat de novembre, ce qui rend moins probable le succès de la politique du « gel du conflit », qui implique indirectement un certain degré de réhabilitation d'Assad. Les partisans de cette politique à Washington espéraient que le fait de neutraliser la loi César, en y ajoutant des exceptions au point de la vider de son essence, servirait de raccourci pour stabiliser la Syrie en acceptant Assad tel qu'il est, mais les nouvelles preuves contre le régime d'Assad rendent cela impossible.
« Au bout du compte, c’est soit l’élite politique corrompue qui s’effondrera, soit le pays tout entier. »
Entre-temps, la Jordanie, qui avait fait pression sur le gouvernement américain pour qu'il accepte Assad, a changé de position après que les forces pro-Iran d'Assad ont été prises en flagrant délit de contrebande de drogue dans le pays. Pour ce qui est des Forces démocratiques syriennes, soutenues par les États-Unis, le régime Assad déplace et persécute les Kurdes depuis des décennies et ne leur accordera pas l'autonomie qu'ils revendiquent. Les négociations avec Damas n'ont pas abouti. Les FDS ont demandé au régime de protéger la région du nord-est et d'utiliser ses défenses aériennes contre une incursion militaire imminente de la Turquie, mais le régime refuse d’affronter les forces turques – ainsi, toute la prémisse de l'accord entre le régime et les FDS s'effondre. Par conséquent, la seule politique américaine viable restante consiste à maintenir les sanctions à l'encontre du régime Assad et à espérer que la « pression maximale » le fera tomber un jour.
Rien de tout cela ne rassure l'élite libanaise qui est dans une large mesure liée au régime d'Assad. La classe politique qui a ingénieusement fait chanter la communauté internationale pour se maintenir à flot est désormais à court d'options. Le Hezbollah avait espéré que le gaz via la Syrie générerait suffisamment d'électricité pour apaiser la grogne populaire, mais les États-Unis sont désormais plus enclins à appliquer la loi César qu’à l'affaiblir.
Une autre bouée de sauvetage possible serait l'extraction de gaz à partir de gisements contestés en Méditerranée, mais c'est-là un pari risqué. Une extraction viable nécessite plusieurs années. Par conséquent, même si le conflit au sujet de la frontière maritime avec Israël est résolu, cela n’apporterait pas de solution aux problèmes immédiats du Liban.
L'élite politique libanaise tente par tous les moyens d'éviter les véritables réformes qui la démasqueraient. Ils s'accrochent au statu quo et misent sur des solutions provisoires pour éviter un effondrement total – par exemple, en fixant le prix des biens et des services en dollars américains afin de soutirer autant de devises fortes que possible aux expatriés libanais qui viendront visiter leur famille cet été.
Aucun de ces tours de passe-passe ne permettra de sauver le Liban. Il est important que la communauté internationale s'oppose fermement à l'establishment politique du pays. S’accommoder de leur présence signifie désormais la désintégration du pays. Ils trouveront sans doute le moyen de tenir pendant l’été, mais l’heure des comptes arrivera en septembre et les États-Unis et le reste du monde doivent être prêts à augmenter la pression à ce moment-là.
Au bout du compte, c’est soit l’élite politique corrompue qui s’effondrera, soit le pays tout entier.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.