PARIS: Simple "illusion" ou photographie "utile" des forces en présence ? Bien moins réglementées que les sondages, les projections en sièges électrisent le débat de l'entre-deux tours des législatives et suscitent des interrogations sur leur méthodologie et leur fiabilité passée.
Alors que la Nupes et Ensemble! se disputaient encore la pole position à l'issue du premier tour, les instituts de sondage, anticipant les logiques de reports de voix, ont tous crédité la coalition présidentielle d'une majorité - possiblement relative - dans la prochaine Assemblée, avec une fourchette allant de 255 à 310 sièges, la majorité absolue se situant à 289.
Le ministre Clément Beaune y a vu le signe que Jean-Luc Mélenchon avait perdu son pari d'accéder à Matignon. "Arrêtons avec cette fable", a-t-il déclaré.
Le chef informel de la Nupes en a une tout autre lecture. "Les projections en sièges à cette heure n'ont à peu près aucun sens sinon celui de maintenir une illusion, puisse-t-elle finir d'étourdir nos adversaires", a cinglé M. Mélenchon au soir du premier tour, quand certains de ses lieutenants rappelaient les écarts, en 2017, entre projections et résultats.
Méthodologie en question
Seul le second tour tranchera le débat mais un retour sur les cinq derniers scrutins législatifs met en lumière l'existence parfois de décalages, plus ou moins significatifs, entre projections et composition finale de l'Assemblée.
En 1997, la gauche plurielle emmenée par le PS obtient 319 sièges sur 577, au-dessus de la fourchette moyenne qui lui en donnait entre 263 et 302.
En 2002, l'UMP installe 309 députés dans l'hémicycle, bien en-dessous des projections qui tablaient sur 380 à 446.
Cinq ans plus tard, les socialistes font mieux que prévu: 186 sièges, contre un maximum de 140 selon les projections.
En 2012, en revanche, malgré un score serré entre PS et UMP au premier tour, les résultats seront conformes aux attentes.
Et en 2017, le deuxième tour confiera 308 sièges à LREM, alors que les projections tablaient sur 400 à 455 députés.
Si les grands rapports de force dessinés par les projections n'ont pas été désavoués dans les urnes, leur méthodologie pose question.
"S'agissant des projections en sièges, il y a des exercices très intéressants et d'autres qui le sont beaucoup moins", commente Jean-Pierre Pillon, secrétaire permanent de la Commission des sondages, l'autorité indépendante chargée de veiller sur la méthodologie des enquêtes d'opinion.
Un certain flou demeure. Contrairement à ce qui prévaut pour les sondages, les instituts ne sont pas tenus, s'agissant des projections, de publier une notice explicitant leur méthodologie.
"On sait comment faire un sondage, on a des références, une tradition. Mais en ce qui concerne les projections, il y a des techniques qui, sont, disons plus +artistiques+. Il y a plusieurs méthodologies et pas une seule façon de faire", poursuit M. Pillon.
Joints par l'AFP, des instituts de sondage défendent "l'utilité" et la fiabilité de ces projections mais rechignent à en livrer, en détail, les secrets de fabrication.
Les résultats du premier tour constituent, sans surprise, le matériau de base que chaque institut enrichit avec ses propres recettes.
Elabe dit avoir recours à une "matrice de report" qui combine l'historique de chaque circonscription et des résultats d'enquêtes menées auprès d'électeurs pour anticiper les reports de voix. "On applique les grandes tendances de cette matrice aux différentes circonscriptions", explique Bernard Sananès, président-fondateur de cet institut, qui ajoute que des " considérations locales et historiques" sont également prises en compte.
Directeur du département opinion chez Ipsos, Stéphane Zumsteeg refuse lui de dévoiler des "secrets d'usine" mais assure que ces projections tiennent "compte des spécificités et de l’historique de chaque circonscription".
Surtout, comme pour les sondages, les instituts exhortent à ne pas ériger ces projections dont ils reconnaissent la "fragilité" en prédictions.
"Ce ne sont que des projections de premier tour et il faut donc les prendre avec prudence parce que les dynamiques électorales peuvent bouger", convient M. Sananès.
Selon lui, la plus grande difficulté n'est d'ailleurs pas d'anticiper les possibles reports de voix mais là encore de mesurer le score que fera le "premier parti de France": l'abstention.