LYSSYTCHANSK : Kiev s'est engagé a "tout faire" pour défendre le Donbass, où l'armée russe a intensifié son offensive, poussant les forces ukrainiennes à envisager un retrait stratégique sur certaines lignes de front dans cette région de l'est du pays afin d'éviter un encerclement.
"La situation dans le Donbass est très, très difficile", a déclaré vendredi le président Volodimyr Zelensky dans une adresse vidéo. "Nous protégeons notre terre est faisons tout pour renforcer" la défense de cette région, a-t-il assuré.
La défense territoriale de l'autoproclamée "république" séparatiste prorusse de Donetsk (est) a indiqué sur Telegram avoir "pris le contrôle complet" de la localité-clé de Lyman, avec "l'appui" de l'armée russe.
Ni l'armée russe, ni celle ukrainienne n'ont immédiatement commenté cette information, que l'AFP n'a pu vérifier de source indépendante.
Mais le président Zelensky a rétorqué: "Si les occupants pensent que Lyman et Severodonetsk seront les leurs, ils se trompent. Le Donbass sera ukrainien".
Près de Kiev, les démineurs s'affairent aussi dans les eaux de baignade
Un ponton de bois permet de sauter dans les eaux claires du lac de Horenka, dans la banlieue de Kiev, où des démineurs s'affairent pour retirer obus et autre missile avant l'ouverture de la saison estivale.
Dans une ambiance bucolique, à peine perturbée par le coassement des grenouilles, deux embarcations naviguent en surface, tandis qu'un plongeur et un drône amphibie explorent les fonds aquatiques.
Entre jeudi et vendredi, ils ont déjà retrouvé dix projectiles lourds, résidus des violents combats qui ont opposé en mars soldats russes et ukrainiens dans cette localité, alors située sur la ligne de front.
Leurs charges n'ont pas explosé, parce que le contact de l'eau est "moins dur" que le sol, explique Serhii Reva, chef des unités pyrotechniques au sein des services de secours ukrainiens.
Des spécialistes les remontent donc avec précaution, avant de les déposer à l'arrière d'un camion qui les emporte à une vingtaine de kilomètres, pour les faire détoner loin de toute habitation.
Les démineurs jouent la montre. "La boue avance et d'ici un mois et demi, deux mois, on ne verra plus rien", explique à l'AFP l'opérateur vidéo Viktor Pohorilyi, en montrant sur son écran une roquette retrouvée à 6,5 mètres de profondeur.
Le temps compte aussi car les températures montent. "L'été approche et nos citoyens vont venir piquer une tête, même si on les prévient du risque", ajoute Serhii Reva.
Filet de pêche
Rives du fleuve Dniepr, lacs et rivières: la région de Kiev compte de nombreux points d'eau aménagés pour la baignade, très populaires aux beaux jours. A Horenka, de petits bans de sable et des étendues d'herbe font office de plages, des cabanes en bois peuvent accueillir les pique-nique.
Pour l'instant, personne n'a encore déplié sa serviette au bord de l'eau. Mais la vie reprend un semblant de normalité dans la capitale ukrainienne depuis le repli des troupes russes vers le sud et l'est de l'Ukraine, le 1er avril, et M. Reva est convaincu que les baigneurs ne vont pas tarder.
Autre public à risque: les pêcheurs. "La pêche à la ligne ne pose pas de problème, mais si quelqu'un jette un filet, il risque de ramasser des objets dangereux", souligne-t-il.
Ses équipes, qui disposent de deux drônes amphibies seulement, ne pourront pas contrôler tous les points d'eau, reconnaît-il. Des priorités sont donc établies avec les autorités, en fonction de l'intensité des combats à leurs abords et de la fréquentation des lieux.
Horenka, où les carcasses de bâtiments calcinés balafrent le paysage, s'est vite retrouvé en haut de la liste. D'ici dimanche, le déminage de son "Lac Bleu" devrait être terminé et ses habitants pourront venir y noyer leurs souffrances.
Après l'offensive infructueuse sur Kiev et Kharkiv (nord-est) au début de la guerre lancée par la Russie le 24 février, les forces russes sont concentrées dans l'est de l'Ukraine, avec l'objectif affiché de prendre le contrôle total du bassin minier du Donbass, partiellement contrôlé depuis 2014 par des séparatistes prorusses soutenus par Moscou.
Un responsable policier de la république séparatiste prorusse de Lougansk, cité par l'agence Ria Novosti, a affirmé vendredi que "la ville de Severodonetsk est actuellement encerclée", et que les troupes ukrainiennes y sont piégées.
Faux, a rétorqué le gouverneur de Lougansk, Serguiï Gaïdaï, jugeant même erroné de dire que la région va tomber sous le "contrôle entier de l'ennemi" russe dans "un, deux ou trois jours".
"Le plus probablement ils ne vont pas" s'en emparer, mais "peut-être, pour éviter d'être encerclées il pourrait y avoir un ordre de retrait donné à nos troupes", a-t-il cependant admis.
Schisme orthodoxe historique
Sur le front religieux, la branche moscovite de l'Eglise orthodoxe ukrainienne a coupé les ponts avec les autorités spirituelles russes, qui soutiennent le président russe Vladimir Poutine - une initiative historique.
A l'issue d'un concile, a été prononcée "la pleine indépendance et l'autonomie de l'Eglise orthodoxe ukrainienne", selon un communiqué, qui précisé que les relations de l'Eglise ukrainienne avec sa direction moscovite étaient "compliquées ou inexistantes" depuis le début du conflit.
Cette initiative est le second schisme orthodoxe en Ukraine en quelques années. Une partie de l'Eglise ukrainienne, représentée par le patriarcat de Kiev, avait déjà rompu avec Moscou en 2019 à cause de l'ingérence du Kremlin dans le pays.
L’Ukraine est centrale pour l'Eglise orthodoxe russe, dont certains des monastères les plus importants sont situés dans ce pays.
«Génocide» dans le Donbass
Dans son message vidéo quotidien, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé jeudi soir Moscou de "génocide" dans le Donbass, où les forces russes procèdent à des "déportations" et des "tueries de masse de civils".
Le président américain Joe Biden a lui aussi employé cette expression.
De son côté, Moscou a justifié son invasion de l'Ukraine par un "génocide" que mèneraient les Ukrainiens contre la population russophone du Donbass.
Depuis La Haye (Pays-Bas), le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a appelé la Russie à coopérer dans l'enquête, qu'il avait ouverte quatre jours après l'invasion russe, sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis en Ukraine. Ni la Russie ni l'Ukraine ne sont membres de la CPI, mais Kiev a accepté la compétence de la Cour.
La guerre se poursuit aussi dans le reste de l'Ukraine.
Les forces russes ont massé 30 chars T-62 ainsi que d'autres blindés et des systèmes de missiles Grad dans la région de Kherson (sud), pilonnée par des hélicoptères Mi-8, a indiqué samedi le Commandement Sud de l'armée ukrainienne sur Facebook.
Kiev réclame des lance-roquette multiples américains
Dans ce contexte, Kiev à une nouvelle fois réclamé vendredi davantage d'armes aux Occidentaux.
"Certains partenaires évitent de donner les armes nécessaires par peur de l'escalade. Escalade, vraiment? La Russie utilise déjà les armes non nucléaires les plus lourdes, brûle les gens vivants. Peut-être qu'il est temps (...) de nous donner des (lance-roquette multiples) MLRS?" a tweeté Mykhaïlo Podoliak, conseiller de la présidence ukrainienne.
Le porte-parole du Pentagone John Kirby n'a pas confirmé l'existence d'un tel projet, une perspective évoquée par la presse américaine.
"Nous restons engagés à les aider l'emporter sur le champ de bataille", s'est-il borné à déclarer.
Pont ferroviaire
Alors que l'Ukraine, grande puissance agricole, ne peut plus exporter ses céréales en raison du blocage de ses ports, Vladimir Poutine a rejeté vendredi toute responsabilité russe dans la crise alimentaire mondiale lors d'un entretien téléphonique avec le chancelier autrichien Karl Nehammer, selon un communiqué du Kremlin.
Jeudi, le président russe avait proposé d'aider à "surmonter la crise alimentaire" - à condition que les sanctions occidentales contre Moscou soient préalablement levées, ce qui lui a valu des accusations de chantage.
Pour aider Kiev à contourner le blocus russe, l'Allemagne a notamment mis sur pied un "pont ferroviaire" avec l'Ukraine, réservant des trains au transport du blé ukrainien vers l'Europe de l'Ouest, selon le prochain chef des forces américaines en Europe, le général Chris Cavoli.
Dans ce contexte, le président Zelensky devrait s'adresser lundi par visioconférence aux dirigeants de l'UE réunis à Bruxelles. Ils devraient aborder à nouveau le projet d'embargo de l'UE sur le pétrole russe, toujours bloqué par la Hongrie.
Le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, a déclaré vendredi soir dans un entretien télévisé que la Russie devrait engranger cette année 1 000 milliards de roubles (13,7 milliards d'euros) supplémentaires de ses exportations d'hydrocarbures, dont les prix flambent. Une partie sera allouée à la poursuite de l'offensive en Ukraine, selon lui.