ACCOMARCA: Trente sept ans après les faits, les victimes de plus grand massacre commis par l'armée pendant le conflit contre les guérillas d'extrême gauche au Pérou ont trouvé une sépulture dans leur village d'Accomarca (sud-est) après un long processus d'identification et la douloureuse remise des restes aux familles.
La cérémonie funèbre a eu lieu vendredi sous un soleil automnal dans ce petit village des Andes situé à 3 400 km d'altitude, où la plupart des 500 habitants vivent de l'agriculture.
C'est là que le 14 août 1985, une patrouille militaire sous le commandement du sous-lieutenant Telmo Hurtado avait assassiné presque tous les villageois, dont des enfants, les accusant d'être des membres de la guérilla maoïste du Sentier Lumineux.
"En ce jour, nous honorons la mémoire des victimes et nous demandons pardon en tant que gouvernement", a déclaré le Premier ministre, Anibal Torres, devant une quarantaine de cercueils déposés sur la place du village, au milieu des habitants vêtus de traditionnels costumes andins.
De là, les cercueils blancs, marqués du nom des victimes, ont été transportés à dos d'homme jusqu'au petit cimetière distant d'un kilomètre, au son d'un groupe de musique traditionnelle. "Justice !" ont aussi crié des habitants.
"Nous constatons une demi-justice (...) Nous exigeons une juste compensation de l'État", a déclaré au nom de la communauté un habitant, Florian Palacios, réclamant un indemnisation financière.
Ces enterrements, près de quarante ans après, ont été rendus possibles après un long processus d'identification des victimes par ADN grâce à un programme mené par le parquet péruvien, avec la coopération du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui assiste les familles.
Au moins 69 personnes ont été massacrées, dont 42 à ce jour identifiées selon des chiffres du parquet de janvier 2022. Une vingtaine d'enfants ont été assassinés de sang froid avec leurs parents.
Les restes des victimes, exhumés des années auparavant d'une fosse commune, sont arrivés dans le village mercredi, empaquetés dans des cartons.
Dans une salle de la mairie, en présence des familles, les ossements ont ensuite été déposés dans les petits cercueils puis transportés à l'église pour être veillés pendant deux jours.
«Boucher des Andes»
"La douleur dans mon coeur ne sera jamais apaisée. De quoi étaient coupables ma mère et mes frères?", a confié à l'AFP Teofilia Ochoa, qui a perdu sa mère et cinq frères et soeurs.
"Ils les ont tous mis en rang, les ont enfermés dans trois maisons et ont tiré avec des balles, des bombes et ensuite ils ont commencé à brûler. Tout le monde criait, c'était un moment terrible", se souvient cette paysanne de 49 ans, qui avait réchappé du massacre en s'enfuyant dans la campagne.
"Perdre des proches de cette manière, c'est triste", dit à l'AFP Tenencia Gamboa, 60 ans, qui pleure sa mère et deux frères de 8 et 11 ans. "Une tristesse très profonde. On ne peut pas la raconter", renchérit Maura Quispe, 52 ans, dont la mère enceinte et une soeur de 6 ans ont été tuées.
"Pour nous, les experts légistes, le cas d'Accomarca a été un des plus complexes et emblématiques", explique l’anthropologue, Lucio Condori, qui a dû travailler le plus souvent à partir de morceaux épars de squelettes.
A partir de 2002, la justice péruvienne a commencé à enquêter sur ce massacre et une dizaine de militaires ont été condamnés. Surnommé le "boucher des Andes", Telmo Hurtado, 60 ans, purge depuis 2006 une peine de 23 ans prison.
"Beaucoup de fils et filles pourront donner (vendredi) à leurs parents un enterrement chrétien, mais il y a des enfants qui continueront à attendre, parce des restes n'ont pas encore été identifiés", avait expliqué à la veille de la cérémonie le maire d'Accomarca, Fernando Ochoa, qui a lui-même perdu sa grand-mère dans le massacre.
Selon le rapport de 2003 de la Commission vérité et réconciliation, 4 000 fosses communes de victimes du conflit entre l'armée et les guérillas (1980-2000) ont été localisées au Pérou, et 21 000 personnes sont portées disparues.
Les paysans pauvres des Andes ont très souvent servi de chair à canon, tant pour les guérillas d'extrême gauche que pour l'armée.