PARIS : Les faiblesses de l'armée russe au lancement de la guerre en Ukraine avaient surpris le monde entier et entraîné un réajustement de ses objectifs sur l'Est du pays. Las, les forces du Kremlin semblent là aussi moins efficaces qu'attendu.
Convaincu semble-t-il que Kiev tomberait en quelques jours après l'offensive du 24 février, le président Vladimir Poutine avait dû admettre l'incapacité de la Russie à prendre la capitale ukrainienne et à faire tomber le régime de Volodymyr Zelensky.
A l'annonce du redéploiement de son armée autour de la partie orientale du pays et des deux provinces du Donbass, en proie depuis 2014 à une rébellion séparatiste prorusse, les observateurs occidentaux craignaient de voir les Ukrainiens reculer brutalement.
"On s'attendait à ce que (les Russes) lancent une de ces offensives à la soviétique. Cela ne s'est pas produit", constate Mark Cancian, du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington. "Ils ont apporté des unités graduellement, au coup par coup".
Résultat, le front ne bouge pas à l'Est, entre déluge de frappes aériennes et balistiques russes et contre-attaques localisées ukrainiennes. Les Russes ont même été repoussés de la ville de Kharkiv (nord) et ont perdu de petites localités de cette région frontalière.
L'armée russe n'est pas le mastodonte que le monde entier craignait.
Pas «l'armée rouge» de 1945
"Ce n'est pas l'armée rouge de la seconde guerre mondiale qui marchait vers la victoire en enjambant ses propres morts. C'est une petite armée qui doit faire attention à ses pertes", estime Mark Cancian. "Ils ont perdu beaucoup de personnel qualifié", dans de premières semaines de combats meurtrières.
Le Kremlin a lui même admis des "pertes importantes". Certaines sources occidentales ont évoqué jusqu'à 12.000 soldats russes tués en quelques semaines, Kiev met la barre à 25 000. Dans tous les cas, des chiffres colossaux qui pèsent sur les opérations.
Au delà de l'image flatteuse dont l'armée russe a hérité, les experts contactés par l'AFP qualifient ses engagements extérieurs récents de trompe-l'œil. Aucune de ses guerres en Géorgie (2008), Crimée (2014) et Syrie (2015) ne l'a formée à faire face à une résistance militaire à la hauteur de celle de l'Ukraine.
"Il ne s'agit pas d'une guerre entre David et Goliath", schématise un haut-gradé français, soulignant la qualité des forces de Kiev, à l'évidence sous-estimées par Moscou. Et lorsque le rapport de force réel s'est matérialisé sur le terrain, les Russes ont peiné à réagir.
"La planification russe, comme son aînée soviétique, s'appuie sur des calculs mathématiques qui laissent peu de place à l'initiative et à la gestion des cas non conformes", ajoute-t-il.
Depuis fin mars, les forces armées russes ont certes concentré 80% de leurs effectifs sur l'Est, contre 20% auparavant. Elles sont parvenues à repositionner un très grand nombre de blindés et à s'adapter à certaines tactiques de l'ennemi.
Problèmes «basiques»
Mais beaucoup des faiblesses constatées en mars autour de Kiev se retrouvent aujourd'hui dans l'est du pays, constate Alexander Grinberg, analyste au Jerusalem Institute for Security and Strategy (JISS): renseignement en souffrance, capacité d'initiative limitée, logistique insuffisante, moral des troupes désastreux dans un projet pas compris par les soldats.
"Chaque unité mène sa propre guerre, tactiquement et stratégiquement", explique-t-il à l'AFP. "Même si Poutine déclarait la mobilisation générale (...), il est difficile d'imaginer comment il dépasserait les problèmes d'organisation les plus basiques".
Au delà de la seule armée russe, c'est au régime de Moscou tout entier que certains observateurs attribuent ces difficultés. Le chef d'état-major Valéri Guerassimov s'est lui même rendu sur le front, témoignant de la faiblesse de son pouvoir de délégation.
"Le système est tellement centralisé que Poutine lui même prend quasiment le contrôle manuel de choses qui devraient être gérées par des militaires professionnels", assure à l'AFP Ivan Klyszcz, chercheur à l'université de Tartu, en Estonie. "C'est une recette pour un désastre et un facteur à prendre en compte quand on regarde la mauvaise performance" des armées russes.
La "guerre éclair" annoncées au matin du 24 février n'a pas eu lieu. Le conflit se règlera par des négociations si les deux camps le décident ou durera potentiellement des mois encore, peut-être des années.
Quoi qu'elle obtienne, la Russie a déjà beaucoup perdu. Elle a revu ses objectifs initiaux à la baisse, n'a pu pleinement se servir de sa marine tout en perdant des bâtiments dont le croiseur Moskva, navire amiral de sa flotte de la mer Noire, n'a pas réussi à prendre le contrôle du ciel ukrainien et a déçu au sol.
"La Russie s'est donné un défi qu'elle a considérablement sous-estimé. Elle déclaré une guerre qu'elle ne peut pas gagner", assure Ivan Klyszcz.