Les colons de Cisjordanie sont un fardeau existentiel pour Israël

Des colons armés de la colonie juive radicale d’Yitzhar patrouillent au bord d’une falaise. (AFP)
Des colons armés de la colonie juive radicale d’Yitzhar patrouillent au bord d’une falaise. (AFP)
Short Url
Publié le Vendredi 06 mai 2022

Les colons de Cisjordanie sont un fardeau existentiel pour Israël

Les colons de Cisjordanie sont un fardeau existentiel pour Israël
  • Les colons juifs en Cisjordanie sont loin d’être homogènes dans presque tous les aspects socio-économiques ou politiques
  • Pas plus tard que la semaine dernière, sept hommes, affectés, pour la plupart, aux avant-postes, ont été condamnés pour avoir participé à ce que l’on appelle tristement le «mariage de la haine»

Il serait injuste et inexact de considérer que tous les colons juifs en Cisjordanie occupée se ressemblent et de les traiter de la même manière. Ce serait une erreur de se fonder sur les raisons pour lesquelles ils vivent dans les territoires palestiniens occupés, puisque cela impliquerait qu’ils partagent tous le même credo idéologique, la même affinité avec ce bout de terre ou encore la même approche vis-à-vis de leurs voisins palestiniens et du futur règlement du conflit israélo-palestinien.

Ce qui est tout aussi important pour l’avenir d’Israël, c’est la manière de s’associer aux membres de la société israélienne qui vivent à l’intérieur de la ligne verte. D’une part, ils peuvent être considérés comme une partie de la société israélienne qui sert simplement d’avant-poste colonial, garantissant que, dans tout accord de paix à venir, certaines parties de la Cisjordanie demeureront une partie d’Israël, ou comme des saboteurs israéliens délibérés de la solution à deux États. D’autre part, on peut dire que, pendant les cinq décennies de ce projet de colonisation, les colons ont développé leur propre identité, distincte du reste d’Israël, mais qui utilise toujours le pouvoir de l’État. Ils exploitent cyniquement la sympathie dont ils jouissent auprès de nombreuses personnes, ainsi que l’apathie des autres, au sein de la société israélienne, pour promouvoir leurs propres intérêts, qui ne correspondent pas nécessairement à ceux de l’ensemble du pays.

Aujourd’hui, la population de colons juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est d’environ 650 000 personnes, réparties dans des centaines de colonies et de quartiers. Cela représente plus de 7% de la population israélienne, ce qui se traduit par huit ou neuf sièges à la Knesset. Étant donné la fragilité de l’arène politique israélienne, cela donne aux colonies une influence et un pouvoir disproportionnés – compte tenu surtout de leur détermination et de la manière astucieuse dont elles opèrent au niveau des paramètres du système politique.

Les colons juifs en Cisjordanie sont loin d’être homogènes dans presque tous les aspects socio-économiques ou politiques. Sur le plan religieux, ils peuvent être orthodoxes, ultraorthodoxes ou laïcs; certaines colonies sont plutôt riches, tandis que d’autres, en particulier les avant-postes, connaissent des difficultés économiques. En termes idéologiques, beaucoup d’entre eux sont des migrants économiques, qui représentent diverses nuances de nationalisme. Ils bénéficient d’avantages financiers et d’investissements gouvernementaux disproportionnés dans les infrastructures par rapport à toute autre partie du pays en Israël proprement dit. Cela leur offre un niveau de vie plus élevé et, dans de nombreux cas, une proximité de leur lieu de travail à l’intérieur de la ligne verte dont ils ne pourraient disposer sans leur statut.

Ils constituent le plus grand groupe parmi les colons et probablement le moins idéologique. D’une manière générale, ces colons doivent être considérés comme susceptibles d’être plus ouverts à un compromis avec les Palestiniens et ils pourraient être plus enclins à être évacués en cas d’accord de paix. Dans la plupart des cas, ils résident dans des colonies qui ne sont pas conçues pour être démantelées dans l’hypothèse où un accord de paix est conclu.

Il existe un deuxième groupe de colons qui n’exclut pas entièrement le précédent. Ceux-là pensent que leur présence en Cisjordanie sert les intérêts d’Israël en matière de sécurité, qu’elle renforce la sécurité du reste du pays et de sa population. Ils combinent le nationalisme avec une perspective – aussi erronée soit-elle – selon laquelle la sécurité d’Israël est mieux garantie par sa présence physique en Cisjordanie et son contrôle de la population palestinienne là-bas.

Ensuite, il y a un troisième groupe: c’est le plus dangereux pour la coexistence israélo-palestinienne et le système démocratique israélien. Ses membres résident principalement dans des colonies isolées et des avant-postes au cœur de la Cisjordanie. Dans de nombreux cas, ils se trouvent à côté des villes importantes et des grands villages palestiniens; ils tentent de chasser les habitants de quartiers comme Cheikh Jarrah ou Silwan et d’imposer leur existence dans des endroits palestiniens très peuplés comme Hébron.

Ce groupe d’ultranationalistes et d’intégristes religieux d’où provient la partie la plus importante – voire la totalité – de la violence terroriste juive contre les Palestiniens et leurs biens est la pire de toutes les nuances sombres de l’occupation. Non seulement il présente une menace sérieuse pour toute future coexistence pacifique entre Juifs et Palestiniens, mais il est également dangereux pour la sécurité israélienne et sa démocratie fragile.

 

Il est temps que les Israéliens se réveillent et rejettent totalement ceux qui, par leur comportement, compromettent constamment toute progressivité de la société israélienne.
Yossi Mekelberg

 

Pas plus tard que la semaine dernière, sept hommes, affectés, pour la plupart, aux avant-postes, ont été condamnés pour avoir participé à ce que l’on appelle tristement le «mariage de la haine» de 2015, au cours duquel des invités ont poignardé des photos d’Ali Dawabshe, un bébé palestinien de dix-huit mois qui avait été assassiné. Cet incident a eu lieu lors du mariage d’un couple d’amis de personnes soupçonnées – certaines ont par la suite été reconnues coupables – de l’attaque à la bombe incendiaire qui a tué Ali et ses parents.

C’est à ce groupe de colons qu’appartenait Baruch Goldstein, qui a abattu vingt-neuf fidèles musulmans et en a blessé cent vingt-cinq autres lors du massacre de la mosquée Ibrahimi, en 1994. C’est ce même groupe qui attaque des Palestiniens innocents, brûle leurs voitures, abat leurs oliviers et lance des cocktails Molotov dans leurs maisons, sans parler du vol des territoires palestiniens au mépris des autorités israéliennes et de la loi.

Les Israéliens ne peuvent plus se décharger de leur responsabilité vis-à-vis du comportement de ce groupe de colons. Après tout, il s’agit d’un monstre créé par l’occupation qui a permis aux colonies de voir le jour. Ces agents, qui sont les plus extrêmes, ne respectent pas la loi et, au lieu de cela, ils la modifient et changent les pratiques pour appliquer leur interprétation pervertie du judaïsme et du sionisme dictée par leurs prétendus rabbins. S’ils se contentaient de suivre les dix commandements et d’autres enseignements juifs, ils renonceraient à leur comportement raciste suprématiste violent.

Cependant, la faute en incombe à l’approche indulgente de l’État, y compris des forces de sécurité, et de la société en Israël, qui s’inclinent presque devant eux, pour des raisons sociopsychologiques obscures. Ils voient ces extrémistes comme la continuation des pionniers sionistes et le maintien de la flamme et de l’esprit juifs, tandis que d’autres sont simplement apathiques. Il est temps que les Israéliens se réveillent et rejettent totalement ceux qui, par leur comportement, compromettent constamment toute progressivité de la société israélienne. En effet, cette approche ne mènera qu’à la confrontation avec les Palestiniens et avec la communauté internationale et changera radicalement le pays.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

TWITTER: @Ymekelberg

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com