PARIS : Emmanuel Macron effectuera lundi à Berlin son premier déplacement international depuis sa réélection afin de marquer la "force du couple franco-allemand" en Europe, confrontée avec le conflit en Ukraine à la plus grande secousse géopolitique de l'après-Guerre froide.
Ce voyage hautement symbolique interviendra dans la foulée de la cérémonie d'investiture samedi et d'un discours lundi à Strasbourg en clôture de la Conférence sur l'Avenir de l'Europe.
La séquence, qui coïncide avec la Journée de l'Europe, au moment où la France assure la présidence tournante de l'UE, sera aussi la réponse européenne au grand défilé militaire organisé le même jour à Moscou pour célébrer la victoire sur l'Allemagne nazie en 1945 et revendiquer de premiers succès en Ukraine.
Avec le chancelier Olaf Scholz, Emmanuel Macron abordera "les questions liées à la guerre en Ukraine" et à la "souveraineté européenne", de la défense à l'énergie, a précisé jeudi l'Elysée.
Autant de sujets sur lesquels le Français, fervent partisan de la cause européenne, est aux avant-postes.
"La symbolique de ce voyage, c'est la continuité des relations particulières avec l'Allemagne. Elle montre que Berlin reste le premier partenaire de la France", relève le directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg, Frank Baasner.
Depuis Nicolas Sarkozy en 2007, les présidents français effectuent traditionnellement leur premier déplacement à Berlin, et réciproquement à Paris pour les chanceliers allemands. La situation est plus inédite pour un président réélu, un première depuis Jacques Chirac en 2002.
«Pas une feuille de papier à cigarette»
Mais les défis à relever sont nombreux depuis le début de l'offensive russe en Ukraine qui percute de plein fouet des économies européennes.
Dans un tel contexte, "il devenait encore plus urgent de montrer qu'il n'y a pas une feuille de papier à cigarettes entre les deux pays, qu'ils sont toujours disposés, volontaires pour travailler ensemble", considère Hélène Miard-Delacroix, spécialiste des relations franco-allemandes à l'université de la Sorbonne à Paris.
"Ce n'est pas la même chose de se passer un coup de fil et de se réunir autour d'une table. Ca donne plus de poids, d'épaisseur aux choses qu'on se dit", souligne-t-elle également.
Le chancelier, très critiqué pour avoir tardé à livrer des armes lourdes à l'Ukraine et s'être opposé à un arrêt immédiat des importations de gaz et pétrole russes, dont l'Allemagne est très dépendante, est aussi dans la tourmente.
"Il a besoin de Macron parce que Macron est populaire en Allemagne", estime Frank Baasner. "Nous on voulait toujours Macron quand on avait (la chancelière Angela) Merkel et les Français voulaient Merkel quand ils avaient Macron", s'amuse-t-il.
"Il peut difficilement aller tout seul à Kiev", renchérit Hans Stark, expert à l'Institut français de relations internationales (Ifri).
Le président Macron ne se rendra en Ukraine que si une telle visite apporte des "résultats utiles", souligne-t-on à Paris. Un déplacement conjoint n'est "pas à l'étude".
«Voiture au garage»
Côté bilatéral, les planètes sont de nouveau alignées. La coalition gouvernementale allemande (Sociaux-démocrates, Verts et Libéraux) s'est dotée d'une feuille de route européenne ambitieuse, qui rejoint celle formulée par Emmanuel Macron dans son discours de La Sorbonne en 2017.
Le "moteur" franco-allemand reste une réalité dans la construction européenne même s'il avait perdu de sa vigueur durant le règne d'Angela Merkel (2005-2021), notent les experts interrogés.
"Madame Merkel était bonne dans la gestion de crise quand il y avait une contrainte extérieure très forte. Mais elle n'a pas été une force d'entraînement dans l'intégration européenne", observe Frank Baasner.
"Le moteur était un peu à l'arrêt parce que la voiture était au garage. Il y a une volonté de le redémarrer", dit-il.
Avec le choc de la guerre en Ukraine, beaucoup de responsables allemands sont "convaincus que Berlin doit éviter, comme ce fut le cas en 2017, de procrastiner" sur l'Europe, analyse l'ancien diplomate Bernard Chappedelaine dans une note d'analyse de l'Institut Montaigne à Paris.
"Le chancelier allemand doit maintenant saisir l'opportunité que représente la victoire de Macron. Le président français a besoin de soutien dans sa mission européenne", écrivait l'hedomadaire allemand Focus au lendemain de sa réélection le 24 avril.