KIEV : Mykhaïlo Vovtchynsky venait juste d'emménager dans un nouvel immeuble proche du centre de Kiev, quand ce dernier a été touché jeudi par un missile russe. Il frémit en apprenant que Moscou a confirmé vendredi avoir tiré un missile de "haute précision" pour toucher une usine militaire, de l'autre côté de la rue.
L'explosion a tué une journaliste, blessé dix personnes et endommagé suffisamment le bâtiment pour l'obliger à déménager. Elle est aussi survenue alors que le secrétaire général de l'ONU effectuait sa première visite à Kiev.
"Si c'est ça une attaque de haute précision, c'est vraiment cynique. C'est inhumain", a indiqué vendredi à l'AFP cet homme de 22 ans, après que lui et sa petite amie eurent retiré de l'immeuble les affaires qu'ils y avaient apportées il y a deux semaines.
Pendant qu'il parle, des machines dégagent les décombres et des équipes de secours nettoient les bris de verre et inspectent l'immeuble, dont la façade a été détruite sur trois niveaux par la frappe.
Les secouristes ont aussi retiré du bâtiment, sur un brancard, un corps emballé dans un sac et emporté à la morgue: la frappe a surpris chez elle Vera Ghyrytch, journaliste pour Radio Free Europe/Radio Liberty, a confirmé la radio, financée par les Etats-Unis.
"Nous avons perdu notre collègue bien-aimée, particulièrement appréciée pour son professionnalisme et son dévouement à sa mission", a déclaré James Fly, président de RFE/RL, dans un communiqué.
Depuis le début de la guerre, la Russie est accusée de frapper délibérément des zones d'habitation, même si Moscou assure faire tout pour épargner les civils.
«Les Russes n'ont peur de rien»
La route qui traverse le quartier touché jeudi est bordée d'un côté d'immeubles d'habitation, de l'autre par le site de l'entreprise Artem qui était apparemment la cible de Moscou.
La Russie a indiqué avoir visé les ateliers de cette entreprise spatiale. Selon le site d'information du ministère ukrainien de la Défense armyinform.com.ua, Artem est l'une des entreprises du complexe militaro-industriel public ukrainien UkrOboronProm et fabrique des missiles.
Sollicitée, UkrOboronProm n'a pas immédiatement confirmé ces informations. L'AFP a pu constater que certains des bâtiments de l'usine étaient en ruines et noircis par les flammes.
L'explosion a aussi brisé les vitres et fissuré les murs à des centaines de mètres à la ronde, endommageant sérieusement une clinique publique à proximité.
"Je crois que les Russes n'ont peur de rien, pas même du jugement du reste du monde", a déclaré à l'AFP Anna Gromovytch, vice-directrice de la clinique.
A l'intérieur, portes brisées et pans de plafond se mêlent à des jouets d'enfants dans la salle d'attente.
La frappe de jeudi, survenue moins d'une heure après la fin d'une conférence de presse donnée par Antonio Guterres à quelques kilomètres de là, a aussi mis fin à une période relativement calme pour la capitale ukrainienne et sa région, qui n'avaient plus subi de frappe depuis le 17 avril.
Depuis que les troupes russes se sont retirées des abords de la capitale le 31 mars, la ville a repris un semblant de vie normale - malgré la persistance des barrages routiers, du hurlement des sirènes d'alerte aérienne, ou les pénuries d'essence.
La frappe de jeudi est venue rappeler que la guerre est toujours là.
"Nous avions déjà eu une frappe dans notre zone, donc nous n'en attendions plus. On se disait, +On ne se baigne pas deux fois dans la même eau+", dit Natalia Karpenko, 55 ans, propriétaire d'une agence de recrutement, qui vit près du lieu de la frappe. Le quartier de Chevtchenkivsky, tout proche, avait déjà subi une frappe le 23 mars, qui avait fait quatre blessés.
Mais malgré la menace, elle n'a pas l'intention de quitter l'Ukraine, comme l'ont déjà fait plus de 5,4 millions d'Ukraniens depuis le début de l'invasion russe le 24 février.
"Nous avons planté des fleurs près de chez nous hier. La guerre est la guerre", dit-elle en haussant les épaules.