PARIS: Surexposés pendant le confinement, las d'attendre une clarification de leur statut juridique, des coursiers à vélo s'organisent en coopératives pour s'affranchir de la précarité et des contraintes subies au sein des plateformes numériques de livraison.
Le coursier est « sur son vélo, seul contre tous » dans l'économie « ubérisée » où « sa précarité n'est plus à démontrer », écrivent les psychologues du travail Elisabeth Leblanc et Bruno Cuvillier dans le dernier numéro de la Revue des conditions de travail paru en juillet.
« Pas de courses-pas d'argent, son statut ne lui laisse aucun répit », a fortiori pendant la pandémie de coronavirus où il s'est trouvé « confronté au ‘dilemme cornélien’ entre ne plus avoir de revenu ni de compensation ou risquer sa vie », analysent les deux chercheurs de l'université Lyon-2.
C'est « parce qu'on était dégoûté de l'expérience Uber, Deliveroo, qu'on a créé une coopérative », témoigne Arthur Hay de Bordeaux. « On était trois collègues de plateformes à aimer le métier, aimer le vélo et à chercher à se lancer au niveau local et à travailler pour nous », confie Vincent Robillard de Montpellier.
Les Coursiers bordelais, montpelliérains, stéphanois, nantais, Resto.Paris, Sicklo à Grenoble... Une vingtaine de sociétés coopératives et participatives (Scop) sont recensées actuellement en France par CoopCycle, une fédération née en 2017 et qui en chapeaute une quarantaine dans plusieurs pays, employant 220 salariés.
« Quand ils prennent conscience que l'autonomie dans les plateformes est illusoire, les coursiers trouvent dans les coopératives un débouché qui leur permet de reprendre le contrôle », analyse Arthur Jan, doctorant en sociologie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), qui prépare une thèse sur les livreurs des plateformes.
« L'objectif n'est pas de remplacer Uber et Deliveroo mais de prouver qu'il est possible de faire autrement en s'appuyant sur deux jambes : le salariat et ses acquis sociaux pour mettre les travailleurs à l'abri dans un métier très accidentogène où règne l'autoentrepreneuriat. Et la maîtrise de l'outil de travail », détaille Adrien Claude, coordinateur de CoopCycle.
« S'émanciper »
La coopérative permet « à la fois d'avoir la protection sociale de tout salarié tout en étant un associé et donc son propre patron », précise Fatima Bellaredj, déléguée générale de la Confédération générale des Scop.
CoopCycle mutualise le logiciel de plateforme de livraison, l'application mobile et le service commercial en échange d'une convention qui engage à créer une coopérative.
La démarche prend du temps. Après deux ans d'existence, les Coursiers bordelais ne sont officiellement une Scop que depuis début octobre mais ils comptent déjà six salariés et dégagent des bénéfices.
Arthur Hay, un de leurs cofondateurs, est aussi à la tête de la CGT des coursiers à vélo de Gironde, et revendique une « démarche politique » : « on montre qu'on a les mêmes vélos, les mêmes sacs à dos et qu'on livre dans des conditions de travail dignes de la France avec une mutuelle, des congés payés, des tickets restos, des heures supplémentaires majorées et un salaire correct » au-dessus du SMIC.
Une mission gouvernementale devrait rendre ce mois-ci ses conclusions sur la représentation des travailleurs des plateformes sur lesquels pèse une incertitude juridique.
Un arrêt du 8 octobre de la cour d'appel de Paris a dénié le statut de salarié à deux coursiers à vélo travaillant pour une plateforme. En novembre 2018, la Cour de cassation avait contredit un arrêt similaire et requalifié en contrat de travail le lien unissant un livreur à une plateforme.
Avocat de plusieurs livreurs, Kevin Mention admet que « les coopératives aujourd'hui sont en nombre limité et ne font pas jeu égal avec les grandes plateformes qui bénéficient de millions pour se développer, faire du marketing et agir en justice contre leurs détracteurs. Mais c'est un bon début. Cela permet de s'émanciper ».
Développer les coopératives et faire requalifier les contrats liant un travailleur à une plateforme sont « les deux jambes d'une même lutte », insiste Arthur Hay.