ZAPORIJJIA : Ils sont plus ou moins gros, de taille ou de couleur variée, parfois encore ornés de lambeaux de peau ou de tissu: les éclats de munitions retirés des blessés à l'hôpital militaire de Zaporijjia (sud) illustrent froidement l'abomination de la guerre en Ukraine.
Dans cet établissement étroitement gardé et plongé dans la pénombre, des bâches recouvrent les fenêtres, tant pour éviter que la lumière projetée la nuit n'attire les obus russes que pour protéger les patients si des vitres venaient à exploser.
Une quasi obscurité règne donc en pleine matinée quand des chirurgiens, à la demande de l'AFP, sortent des salles d'opération leur funeste butin: deux pots de confiture, dont un au tiers plein, dans lesquels sont stockés ces bouts de mort arrachés des corps de soldats et de civils.
Projetés dans la faible lumière d'une lampe de bureau, les éclats de munitions donnent le frisson. Certains paraissent vert bouteille, d'autres grisâtres ou maronnâtres. Là, c'est "un morceau de mine", explique le docteur Iouri, désignant une forme usinée de quatre à cinq centimètres de long.
Un bout plus argenté, fait d'aluminium, appartenait selon lui à une sous-munition.
Chaque morceau de métal a une histoire, celle d'une vie menacée. D'un éclat pointu, assez effilé, le jeune médecin se souvient: "Nous l'avons extrait d'une jambe. Le soldat était dans un état stable et l'opération a été un succès".
Aucun décès
Et de montrer sur son téléphone une radio prise de la blessure avant le passage au bloc. Le bout de métal y apparaît plus blanc que le muscle dans lequel il était fiché.
Un autre cliché médical, puisé dans la mémoire de l'ordinateur du service, présente une balle incrustée dans une mâchoire. Le corps étranger apparaît cette fois-ci en noir, et tranche nettement aux rayons X avec le reste du visage du patient, plus clair.
Sur une troisième radio, un éclat, à nouveau clair, est incrusté dans le pelvis d'un blessé.
"Nos hommes sont très forts. La grande majorité de ceux que l'on soigne ici, même ceux qui sont gravement blessés, veulent retourner au front avec leurs amis, pour les soutenir", affirme le docteur Iouri.
Aucun blessé n'est mort dans le service, assure le Dr Farad Gokharovitch Ali-Shakh, un chirurgien orthopédiste qui insiste sur le fait que tous les patients depuis le début de la guerre ont évité l'amputation, à deux exceptions près.
"Leurs blessures mettaient leur vie en danger", soupire-t-il.
«Animaux»
Lui aussi sort son téléphone pour montrer la photo sanguinolente d'une jambe arrachée ne tenant plus que par un lambeau de peau. "Nous avons pu restaurer les vaisseaux puis fixer les extrémités", se satisfait le Dr Ali-Shakh, qui dit travailler "20 heures par jour" au bloc.
"Nous vivons tous pratiquement ici", note-t-il sans en faire grand cas. "Parfois, je peux rentrer chez moi pour 2-3 heures et ensuite je reviens."
Depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine le 24 février, l'hôpital militaire de Zaporijjia a traité "plus de 1 000 blessés, militaires et civils", indique son directeur, le commandant Viktor Pyssanko.
Jusqu'alors, la guerre sévissant depuis 2014 entre l'armée ukrainienne et les séparatistes prorusses du Donbass, territoire de l'Est, continuait "à basse intensité" et se caractérisait par des blessures relativement simples, causées par des balles ou des explosions.
"Mais maintenant, 80% des blessés présentent une combinaison de traumatismes de guerre", note-t-il, en rage contre les soldats russes. Des "animaux", selon lui.