BEDARRIDES: "Elle au moins, elle s'occupera de nous et pas du reste du monde": à Bédarrides, dans le sud-est de la France, près de la moitié des électeurs ont voté pour Marine Le Pen, la candidate d'extrême droite, comme en 2017. Et ils espèrent sa victoire, pour "plus d'égalité".
Au premier tour de la présidentielle, ce village de 5.000 habitants a accordé un très gros score à la fille de Jean-Marie Le Pen, loin devant l'autre candidat d'extrême droite Eric Zemmour (12,5%) et Emmanuel Macron (16,8%).
Dans cette bourgade viticole, terroir du fameux Châteauneuf-du-Pape, à une quinzaine de kilomètres de la culturelle cité d'Avignon, ces électeurs croient à la victoire de la candidate du Rassemblement national (RN) face au président sortant.
"Elle peut gagner", veut croire Mireille Boccabella, ancienne aide-soignante, qui perçoit 1.000 euros de retraite, convaincue qu'une fois au pouvoir Marine Le Pen pourra améliorer son maigre pouvoir d'achat.
"Il faut plus d'égalité: que les riches payent l'impôt sur la fortune, que la richesse soit répartie et qu'on fasse plus pour les petites gens qui ne sont pas considérées", défend la sexagénaire.
"Je veux pouvoir remplir mon caddie et laisser quelque chose à mes enfants et petits-enfants", poursuit-elle, contente que "sa" candidate soit revenue sur sa décision de quitter l'Europe et rassurée par sa position "modérée" face à Eric Zemmour, "trop radical".
Sur les thèmes de prédilection du RN, l'insécurité et l'immigration, Mireille reconnaît qu'à Bédarrides ce n'est pas un problème. Mais "justement on veut pas que ça change".
Le village du Vaucluse, où résident 30% de retraités, est "très recherché pour sa tranquillité et ils ne veulent pas la perdre", abonde le nouveau maire, Jean Bérard, élu sans étiquette mais dont la victoire a été revendiquée par le RN.
- "Ras-le-bol " -
"Je me garderais bien de donner une consigne de vote, les gens font ce qu'ils veulent, il n'y pas de honte", ajoute l'élu de cette commune où les anciennes fermes aux murs et arcades en pierre côtoient désormais de nouveaux lotissements.
Dans le Vaucluse, les électeurs du RN se situent "entre les catégories privilégiées, auxquelles ils n'ont pas le sentiment d'appartenir, et celle des +assistés+, selon eux, avec le sentiment qu'ils sont ceux qui financent l'assistanat", analyse Christèle Lagier, maîtresse de conférence en Sciences politiques à l'université d'Avignon.
"On se retrouve dans une zone rurale, avec des habitants de catégories non-favorisées, mécontents de leur situation et qui craignent que ça aille plus mal, et procèdent donc à un vote de +défense+", poursuit-elle.
John, 40 ans, employé municipal, "soumis au droit de réserve", a voté les années précédentes pour l'extrême droite et continuera à le faire: "y en a ras-le-bol, on s'occupe des autres pays et dans le nôtre les gens crèvent de faim". "Ca suffit de donner des aides sociales à ceux qui ne travaillent pas et que ceux qui bossent ne gagnent pas leur vie", s’insurge-t-il.
Ces votes sont des "bouffées" liées à un effet d'entraînement: "ils se montent le bourrichon", analyse l'ancien maire divers droite Christian Tort, tout en rappelant que, dans ce village qui compte près de 11% de chômeurs, "cela fait une bonne quinzaine d'années que les habitants votent extrême droite à toutes les élections".
"Il y a des gens qui votent pour le RN alors qu'ils fréquentent tous les jours des immigrés et que ça se passe très bien, et d'autres qui n'en voient jamais, mais en ont une peur affreuse", relève Christèle Lagier. "On a eu un matraquage médiatique des thèmes de l'immigration et de l'insécurité durant cette campagne. La candidature d'Eric Zemmour a très largement joué sur des catégories de personnes dont la principale source d'information est la télévision. Ils voient le monde à travers ça et n'ont pas besoin d'avoir des problèmes immédiats pour voter RN".
Une habitante, qui préfère rester anonyme, déplore: "Bédarrides est un village complètement renfermé sur lui-même. Ils ne veulent pas d'arabe, sauf celui qu'ils connaissent et qu'ils trouvent sympa. Les gens se fient à des slogans sans se rendre compte que le RN ne dit pas comment il veut parvenir à ses fins. Ils se font éblouir".