PARIS: Emmanuel Macron a appelé dimanche, à l'issue du premier tour de la présidentielle, à fonder au-delà des "différences" "un grand mouvement politique d'unité et d'action" et dit vouloir "tendre la main à tous ceux qui veulent travailler pour la France".
"J'appelle tous ceux qui depuis six ans et jusqu'à ce soir se sont engagés pour travailler à mes côtés à transcender leurs différences pour se rassembler en un grand mouvement politique d'unité et d'action pour notre pays", a-t-il déclaré depuis son QG électoral, en présence de plusieurs figures de la macronie, dont le Premier ministre Jean Castex
"Rien n'est joué" a lancé le président sortant Emmanuel Macron.
"Le débat que nous aurons pendant 15 jours sera décisif pour notre pays et pour l'Europe", a-t-il lancé devant ses supporteurs, saluant la "clarté à l'égard de l'extrême droite" de plusieurs candidats éliminés qui ont appelé à voter pour lui, et se disant prêt à "inventer quelque chose de nouveau" pour rassembler.
Arrivé en tête des suffrages dimanche soir avec un meilleur score qu'il y a cinq ans, Emmanuel Macron a réussi son pari du premier tour en devançant nettement Marine Le Pen, mais devra savoir rassembler un électorat fracturé pour espérer être réélu.
Pour la première fois depuis vingt ans, le président sortant arrive en tête du premier tour et, pour la première fois depuis plus de quarante ans, les Français ont qualifié au second tour le même duel que lors de la précédente élection présidentielle.
Le scrutin était annoncé incertain et volatil jusqu'au dernier jour. En recueillant de 27,6% à 29,7% des suffrages exprimés, Emmanuel Macron est dans l'étiage haut que les instituts de sondage lui promettaient en fin de campagne, supérieur à son score de 2017 (24,01%).
Une satisfaction? Si les mêmes analystes tablaient il y a encore un mois sur un potentiel de plus de 30% des voix pour le président sortant, un temps bénéficiaire d'un "effet drapeau" lié à la guerre en Ukraine, l'état-major de la macronie ne faisait pas la fine bouche dimanche soir après des derniers jours jugés compliqués.
Une campagne jugée tardive, poussive et sans entrain, au positionnement incertain, laissait craindre une mauvaise surprise, tant les courbes du chef de l'Etat et celles de Mme Le Pen se rapprochaient. Elle n'a finalement pas entamé sa dynamique.
La parcimonie avec laquelle le candidat favori a consenti à faire des déplacements, en laissant courir l'idée d'"enjamber" ce premier tour imprudemment considéré sans risque, avait également suscité de lourdes interrogations.
La mise en garde contre une performance annoncée de la candidate d'extrême droite semble finalement avoir porté ses fruits, alors qu'Emmanuel Macron avait encore accusé jeudi sa rivale d'être "raciste" dans un entretien au Parisien.
Un appel très large de la classe politique à voter pour Emmanuel Macron
La grande majorité de la classe politique a appelé dimanche à voter pour le président sortant Emmanuel Macron au second tour de l'élection présidentielle face à la candidate d'extrême droite Marine Le Pen, qui a de son côté reçu le soutien d'Eric Zemmour.
Ceux qui appellent à voter Macron
- La candidate du PS Anne Hidalgo a appelé dimanche depuis son QG de campagne les Français à voter le 24 avril "contre l'extrême droite de Marine Le Pen en (se) servant du bulletin de vote Emmanuel Macron".
- Le candidat du PCF Fabien Roussel a appelé à "battre l'extrême droite, à la mettre en échec, en se servant du seul bulletin à notre disposition", demandant cependant au candidat Emmanuel Macron de "dire qu'il a entendu le message" envoyé par les Français.
- La candidate LR Valérie Pécresse a annoncé qu'elle voterait "en conscience Emmanuel Macron pour empêcher l'arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et le chaos qui en résulterait". Reconnaissant ne pas être "propriétaire des suffrages qui se sont portés sur son nom", elle a invité ses électeurs à peser les "conséquences potentiellement désastreuses" d'un choix différent du sien.
- Le candidat EELV Yannick Jadot a appelé à "faire barrage à l'extrême droite en déposant dans l'urne un bulletin Emmanuel Macron" face à Marine Le Pen au second tour. "Notre vote ne vaut pas caution" pour le président sortant, qui doit maintenant "créer les conditions du rassemblement pour faire échec à l'extrême droite", a-t-il ajouté.
- Le député LR Guillaume Larrivé (LR) a annoncé sur Twitter qu'il voterait pour Emmanuel Macron, qui "a l'expérience de l'Etat et des crises". "Donnons-lui la force de rassembler les Français. Construisons, avec lui, une nouvelle majorité pour faire réussir la France", a-t-il ajouté.
- Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a appelé à la "mobilisation" pour le second tour. "C'est une deuxième campagne qui commence", a-t-il dit sur France 2.
Ceux qui excluent le vote Le Pen
- "Il ne faut pas donner une seule voix à Mme Le Pen", a affirmé à trois reprises depuis son QG le candidat LFI Jean-Luc Mélenchon, sans appeler à voter pour M. Macron.
- "Pas une voix ne doit aller à l'extrême droite", a affirmé depuis son QG le candidat NPA Philippe Poutou, qui n'a pas non plus donné de consigne de vote pour M. Macron.
- Le député LFI Adrien Quatennens a confirmé sur France 2 que son parti organiserait comme en 2017 une "consultation" interne en vue du second tour. "Le vote d'extrême droite ne sera pas une option" dans cette consultation, a-t-il ajouté.
Ceux qui appellent à voter Le Pen
- Le porte-parole de Marine Le Pen, Louis Aliot, a appelé sur France 2 tous les électeurs français "qui ne veulent pas voir M. Macron dans un deuxième mandat" à "se rassembler" derrière la candidate RN, "pour avoir une belle surprise".
- Eric Zemmour, malgré ses "désaccords" avec Marine Le Pen, a appelé dès dimanche soir à voter pour elle. "Je ne me tromperai pas d'adversaire. C'est la raison pour laquelle j'appelle mes électeurs à voter pour Marine Le Pen".
- La nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal, ralliée à Eric Zemmour, a de son côté confirmé sur TF1 quelle voterait "personnellement" pour sa tante.
Ceux qui ne se prononcent pas
- Le député LR Eric Ciotti a refusé de donner une consigne de vote pour le second tour. "Je ne me reconnais pas dans (la) politique (d'Emmanuel Macron), je ne le soutiendrai pas", a affirmé M. Ciotti sur TF1.
Dynamique nouvelle
Emmanuel Macron est-il le favori pour le second tour? "Oui, mais", répondent certains lieutenants du président, tant la campagne d'entre-deux tours s'annonce ouverte.
Car le paysage politique né de ce premier tour est inédit: d'abord, la faiblesse historique du Parti socialiste, des Républicains, mais aussi des Verts, laisse entrevoir un "front républicain" dégarni.
Pire: comme il y a cinq ans, Jean-Luc Mélenchon réserve sa consigne de vote et l'hypothèse qu'il appelle à se porter sur le bulletin Macron dans quinze jours apparaît faible. De même, l'aile droite de LR semble résignée à un "ni-Le Pen, ni-Macron", à l'instar des positions de Laurent Wauquiez ou Eric Ciotti en 2017.
La candidate du Rassemblement national peut par ailleurs compter pour la première fois sur une réserve de voix substantielle, puisque les électeurs d'Eric Zemmour sont ultra-majoritairement disposés à voter pour elle le 24 avril, selon les instituts de sondage.
Plus généralement, le camp Macron s'est inquiété ces dernières semaines, à mesure que Mme Le Pen montait dans les sondages, de voir la fille de Jean-Marie Le Pen parvenir à corriger une image jusqu'alors clivante, au profit de celle d'une femme d'Etat.
Pour les macronistes, il s'agit d'abord de capitaliser sur un bon score promis à lancer une nouvelle dynamique.
Sur le fond, les partisans du chef de l'Etat entendent surtout rappeler les fondamentaux d'extrême-droite de Mme Le Pen, dans une tentative de rediabolisation.
Que ce soit sur les institutions, l'Europe ou sa vision du monde, le camp Macron veut plus que jamais renvoyer Marine Le Pen à sa conception supposée "illibérale" de la démocratie, à l'instar du chef du gouvernement hongrois Viktor Orbán -qu'elle a félicité pour sa reconduction la semaine dernière, et de sa proximité jadis proclamée avec Vladimir Poutine.
De même, la vision économique de Marine Le Pen, jugée non sérieuse, autant que ses revirements lors de la crise sanitaire, doivent alimenter un procès en incompétence.
"Penser qu'activer ce levier du 'front républicain' contre l'extrême droite suffira à lui seul, c'est une illusion. Car le changement d'image de Marine Le Pen est une réalité", prévient toutefois le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein.
Point d'orgue: le débat d'entre-deux tours, prévu le mercredi 20 avril. "Mais ça ne pourra pas être pire que la dernière fois, donc on dira qu'elle a été meilleure", craint un proche du chef de l'Etat sortant.
Cinq choses à retenir du premier tour
On refera le match de 2017
Emmanuel Macron et Marine Le Pen se retrouveront au second tour comme en 2017. Le président sortant est arrivé largement en tête du premier avec autour de 28% des voix, selon les premières estimations. Il fait mieux qu'il y a cinq ans (24%). La candidate du Rassemblement national Marine Le Pen s'est, quant à elle, à nouveau classée en deuxième position avec autour de 24% des voix. Elle aussi fait mieux que lors de la présidentielle précédente où elle avait obtenu 21,3%. C'est la troisième fois que l'extrême droite parvient au second tour d'une présidentielle en France, après son père et ancien chef du Front national Jean-Marie Le Pen en 2002, puis elle-même, déjà, il y a cinq ans.
Le troisième homme
Comme il y a cinq ans, l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon rate de quelques points la seconde place. Grâce à la dynamique ascendante de ces dernières semaines, il se classe troisième autour de 20%, soit un résultat sensiblement identique à celui d'il y a cinq ans quand il avait fini quatrième avec 19,6% des voix.
Partis traditionnels en déroute
Ce premier tour a été marqué par la déroute des partis traditionnels de la droite et de la gauche avec des résultats historiquement bas. La candidate LR Valérie Pécresse a connu une dégringolade pour se retrouver autour de la barre des 5%, seuil de remboursement des frais de campagne. Il y a cinq ans, François Fillon avait atteint 20%. Quant à la socialiste Anne Hidalgo, elle n'obtient que 2% des voix, trois fois moins que Benoît Hamon en 2017 qui avait déjà plongé jusqu'à 6,3%, considéré alors comme un crash total. Déception aussi pour les écologistes qui se retrouvent autour de la barre des 5% avec Yannick Jadot.
Les appels au "barrage"
Comme il y a cinq, les appels à faire barrage au Rassemblement national au second tour se sont multipliés dès les premières estimations connues. A gauche, le PCF Fabien Roussel, la PS Anne Hidalgo, l'écologiste Yannick Jadot ont appelé à voter pour Emmanuel Macron. "Il ne faut pas donner une seule voix à Marine Le Pen", a martelé à plusieurs reprises l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon. "Pas une voix ne doit aller à l'extrême droite", a affirmé pour sa part l'anticapitaliste Philippe Poutou.
A droite, Valérie Pécresse a déclaré qu'elle voterait "en conscience" pour Emmanuel Macron. A l'inverse, le polémiste d'extrême droite Eric Zemmour a appelé ses électeurs à voter pour Marine Le Pen.
Une forte abstention
L'abstention était redoutée, compte tenu du manque d'intérêt pour la présidentielle longtemps exprimé par les Français dans les enquêtes d'opinion. Elle s'est finalement située entre 26% et 28,3%, soit entre 4 et 6 points de plus qu'en 2017, selon les estimations. Elle se rapproche du niveau du 21 avril 2002, année record avec une abstention qui avait atteint 28,4%. Elle est toutefois moins forte que lors de la Bérézina des régionales et des départementales il y un an, avec deux tiers des électeurs qui n'avaient pas voté. L'abstention suit une tendance ascendante depuis la présidentielle de 2007 où elle avait été limitée à 16,23%. Elle est passée à 20,52% en 2012 et atteint 22,23% en 2017.