KRAMATORSK: Au lendemain de la frappe meurtrière d'une gare dans l'est de l'Ukraine, où étaient rassemblés des civils cherchant à fuir, les évacuations se poursuivaient samedi dans cette région, dans la crainte d'une offensive russe imminente.
Dans ce contexte tendu, et alors qu'il a demandé "une réponse mondiale ferme" après le bombardement de la gare de Kramatorsk, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que Kiev était "toujours prête" à mener des pourparlers avec la Russie, au point mort après la découverte d'atrocités dans des villes libérées.
"Nous sommes prêts à nous battre et chercher parallèlement des voies diplomatiques pour arrêter cette guerre", a-t-il assuré lors d'une conférence de presse avec le chancelier autrichien Karl Nehammer, en visite à Kiev et à Boutcha, petite ville proche de la capitale devenue un symbole des atrocités de l'invasion russe.
M. Zelensky a qualifié l'attaque de la gare Kramatorsk de "crime de guerre". "Chacun parmi ceux impliqués sera tenu responsable", a-t-il dit dans un message vidéo dans la nuit. La frappe de missile a tué vendredi 52 personnes, dont 5 enfants, selon un dernier bilan des autorités locales.
Le président américain Joe Biden a dénoncé une "horrible atrocité" commise par Moscou et la diplomatie française un "crime contre l'humanité".
Moscou a démenti être responsable de la frappe, affirmant ne pas disposer du type de missile qui aurait été utilisé, avant de dénoncer une "provocation" ukrainienne.
Un haut responsable américain du ministère de la Défense a balayé les arguments des autorités russes.
"Je note qu'initialement ils ont fait état d'une frappe réussie, et qu'ils se sont rétractés uniquement après des informations sur des victimes civiles", a-t-il souligné.
Le ministère russe de la Défense avait en effet annoncé plus tôt vendredi que l'armée russe avait détruit avec des missiles de haute précision "des armements et d'autres équipements militaires dans les gares de Pokrovsk, Sloviansk et Barvinkove", des localités situées non loin de Kramatorsk, la "capitale" de la partie du Donbass encore sous contrôle ukrainien.
Le missile s'est abattu vers 10H30 (07H30 GMT), à l'heure où les candidats à l'évacuation se regroupent depuis des jours par centaines dans la gare de la ville pour fuir le Donbass, désormais objectif prioritaire de l'armée russe.
Des journalistes de l'AFP ont vu au moins trente corps dans des sacs mortuaires ou sous des bâches. Les trottoirs étaient maculés de sang, valises abandonnées, peluches et nourriture jonchaient les quais.
Sur le parvis, les restes d'un missile étaient toujours visibles: on pouvait y lire en russe "Pour nos enfants", une expression récurrente des séparatistes prorusses en référence à leurs enfants tués depuis le début de la première guerre du Donbass en 2014.
Samedi, les évacuations de civils se poursuivaient par la route. Des mini-bus et camionnettes venaient récupérer des dizaines de rescapés du bombardement qui ont passé la nuit dans une église protestante du centre-ville, non loin de la gare, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Arrivée vendredi en Ukraine pour une visite de soutien, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dénoncé une "attaque méprisable".
Elle s'est rendue avec le chef de la diplomatie de l'UE Josep Borrell à Boutcha, localité où des dizaines de cadavres portant des vêtements de civils, certains les mains liées dans le dos, ont été découverts début avril après le départ des forces russes.
"Mon instinct me dit: si ceci n'est pas un crime de guerre, qu'est-ce qu'un crime de guerre?", a déclaré Mme von der Leyen. "Nous avons vu de nos propres yeux que les destructions dans cette ville visaient les civils".
Object: Donbass
Après avoir retiré ses troupes de la région de Kiev et du nord de l'Ukraine, la Russie a fait de la conquête totale du Donbass, dont une partie est contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses, sa priorité.
Le président Vladimir Poutine veut atteindre cet objectif avant le défilé militaire du 9 mai marquant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, célébration la plus importante en Russie, notent les observateurs.
En prévision d'une offensive massive, les autorités locales dans l'est de l'Ukraine s'efforçent de faire évacuer les civils.
A Lozova, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Kramatorsk, environ 15.000 personnes ont jusqu'à présent quitté la localité et 50.000 se trouvent encore sur place, a indiqué vendredi soir sur Telegram le chef de l'administration militaire régionale, Oleg Sinegubov.
Les départs sont organisés en train et en voiture, a-t-il précisé, tout en faisant état de combats se déroulant "à proximité".
Menacé à son tour de frappes, le grand port d'Odessa, dans le sud sur la mer Noire, va connaître un couvre-feu de samedi soir à lundi matin, ont annoncé les autorités locales.
Nouvelles sanctions
A la suite des révélations sur les exactions en Ukraine, la Russie avait été suspendue jeudi par un vote du Conseil des droits de l'homme de l'ONU et a été la cible de nouvelles sanctions économiques occidentales, qui n'empêchent cependant pas le rouble, la monnaie russe, d'avoir retrouvé de la vigueur depuis un mois.
La Banque centrale russe a même annoncé vendredi qu'elle réautorisait à partir du 18 avril la vente de devises étrangères, suspendue début mars.
Londres a décidé de sanctionner les deux filles de Vladimir Poutine et celle du chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, disant vouloir s'en prendre au "train de vie fastueux du cercle rapproché du Kremlin".
L'UE a également inscrit sur sa liste noire les deux filles du président russe.
Elle avait déjà adopté jeudi soir un nouveau train de mesures punitives, avec notamment un prochain arrêt des importations de charbon russe. C'est la toute première fois que les Européens frappent le secteur énergétique russe, dont ils sont très dépendants.
Bruxelles prévoit aussi de nouvelles sanctions contre des banques russes ainsi que la fermeture des ports européens aux navires russes.
Kiev réclame la fourniture "immédiate" d'armes pour faire face à une nouvelle offensive russe dans l'Est.
Le Royaume-Uni a annoncé l'envoi de missiles antichars et antiaériens supplémentaires. Et la Slovaquie "fait don" à Kiev de systèmes de défense antiaérienne S-300, de conception soviétique.
L'Allemagne a de son côté indiqué avoir quasiment épuisé ses possibilités d'approvisionner l'Ukraine en matériel tiré des réserves de son armée, la Bundeswehr, mais planche sur des livraisons effectuées directement par l'industrie de l'armement.