PARIS: Tokyo a rejoint vendredi la liste des chancelleries ayant expulsé des diplomates russes, une décision à chaque fois très politique qui vise aussi à limiter les capacités d'action des services de renseignement.
De nombreux pays européens comme la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Slovénie, l'Autriche, la Pologne ou la Grèce, ont massivement expulsé des diplomates russes depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. Les Etats-Unis ont de leur côté renvoyé chez eux début mars 12 membres de la mission diplomatique russe auprès de l'ONU.
Dans certains cas, ces expulsions sont officiellement censées répondre à l'invasion de l'Ukraine et aux exactions reprochées par les Occidentaux à l'armée russe. Dans plusieurs autres cas, elles sont accompagnées d'accusations d'espionnage.
Washington avait ainsi indiqué vouloir sanctionner des agents "de la mission russe qui ont abusé" de leur statut diplomatique "en s'adonnant à des activités d'espionnage contraires à notre sécurité nationale".
Moscou a répondu avec des mesures parallèles.
"La réduction des possibilités de communiquer au niveau diplomatique dans ces conditions difficiles" dénote un "manque de clairvoyance qui va compliquer davantage la communication nécessaire pour trouver des solutions", avait déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, répondant aux expulsions décidées par l'Union européenne.
"Cela va entraîner inévitablement des mesures de représailles". Moscou a annoncé vendredi l'expulsion de 45 diplomates polonais de l'ambassade à Moscou et de ses consulats généraux à Irkoutsk, Kaliningrad et Saint-Pétersbourg.
«Vigilants»
En mars, les autorités ukrainiennes avaient publié 600 noms présentés comme des agents russes en poste à l'étranger. L'AFP n'a pu obtenir la confirmation que des diplomates expulsés depuis étaient bien sur la liste.
Mais des officiers russes avaient déjà été confondus publiquement dans plusieurs affaires, notamment par des sites spécialisées, ces derniers mois. Et les services eux-mêmes en connaissaient forcément un certain nombre. "On est vigilant, on sait à peu près qui fait quoi", explique ainsi à l'AFP une source sécuritaire occidentale.
Les Russes n'ont d'ailleurs pas été très discrets en Europe ces dernières années, en se faisant prendre la main dans le sac dans des affaires de meurtres, tentatives et autres opérations clandestines.
"Le fait qu'on ait pu remonter jusqu'à eux montre qu'ils font des erreurs", relève cette source qui évoque notamment un commando aux membres "quasiment tous identifiés parce que leurs pratiques clandestines n'étaient pas aux normes".
Même si les noms des agents n'étaient pas inconnus des agences occidentales, "le fait que ce soit communiqué publiquement crée peut-être une opportunité", explique à l'AFP Damien Puyvelde, expert du renseignement à l'université de Glasgow.
"Il y a ici une stratégie de communication très claire du gouvernement ukrainien de mettre la pression sur les Occidentaux et le reste du monde de toutes les façons possibles".
«Nids d'espions»
Pour autant, les impacts de ces expulsions sont complexes à évaluer.
"Les expulsions coordonnées de ces pseudos diplomates russes - la plus importante depuis la seconde guerre mondiale - aura un impact sévère sur l'espionnage russe", assure Nathan Sales, ex-ambassadeur américain aujourd'hui analyste au think-tank Soufan Center.
"Les ambassades russes sont des nids d'espions et perdre autant d'opérateurs compliquera les capacités du Kremlin à collecter des informations, semer la division et peser sur les élections du continent".
Alexandre Papaemmanuel, expert du renseignement et professeur à l'Institut des études politiques (IEP) à Paris, souligne de son côté que "les ambassades ont toujours été des centres d'informations privilégiés pour collecter de l'information, la traiter, l'agréer en renseignement et la relayer auprès de décideurs stratégiques".
Il rappelle que le 5 avril 1983, lors d'une retentissante histoire d'espionnage - l'affaire Farewell - "deux bus sont venus chercher 47 diplomates soviétiques expulsés à l'ambassade de l'URSS. Cela donne une idée du nombre d'espions présents à Paris à l'époque".
Reste que Moscou disposera encore d'informateurs en Europe, dans les anciennes républiques du bloc soviétique mais aussi dans les grandes capitales comme Paris, Berlin ou Londres. Elle y dispose aussi de soutiens qui s'affichent au grand jour.
Et il serait audacieux d'imaginer ses réseaux mis à bas en quelques jours, prévient Damien Van Puyvelde. Car quand les hommes changent, les contacts restent. "Il y a une continuité du service. Il y a des archives", rappelle-t-il, en soulignant que "la réciprocité dans les expulsions en fait un jeu à somme nulle".