NICOSIE: Chypre a annoncé mardi la suppression de ses « passeports en or » après la diffusion d'une enquête de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera sur des abus présumés de ce programme controversé visant à attirer de riches investisseurs sur l'île membre de l'Union européenne.
Cette décision a été prise en raison « de failles de longue date, d'abus et de l'exploitation des dispositions du programme d'investissement », a déclaré à des journalistes le porte-parole du gouvernement, Kyriacos Koushos.
Le programme permet à des citoyens fortunés d'obtenir un passeport chypriote en échange d'investissements conséquents dans le pays méditerranéen.
Le système, qui a généré 7 milliards d'euros, sera supprimé le 1er novembre, a précisé M. Koushos, ajoutant que le gouvernement allait « revoir sa politique sur les moyens d'attirer les investissements ».
Selon les règles en vigueur, un citoyen d'un pays hors UE peut obtenir un passeport chypriote en échange d'un investissement de 2,5 millions d'euros, qui peut consister en l'achat d'une résidence sur l'île.
Bruxelles estime que le dispositif pourrait aider des individus du crime organisé à infiltrer l'Union et fait pression sur Chypre, qui avait durci en février 2019 les conditions d'obtention de ces « passeports en or ».
Enquête complète
L'annonce surprise du gouvernement est survenue quelques heures après la diffusion par Al-Jazeera d'images montrant des fonctionnaires qui auraient tenté d'aider une personne, agissant en tant que client avec un casier judiciaire, à obtenir un passeport chypriote.
« Se faisant passer pour des représentants d'un personnage fictif censé être un criminel, nos journalistes infiltrés ont été initiés (...) au programme d'investissement à Chypre par des avocats et des agents immobiliers, menant finalement à des politiciens haut placés », a expliqué Al-Jazeera dans un communiqué.
Le ministre chypriote de la Justice, George Savvides, a assuré qu'il y aurait une enquête complète pour répondre à « l'indignation, la colère et l'inquiétude » provoquée par l'enquête d'Al-Jazeera.
« Nous ferons tout ce qui est nécessaire dans le but de protéger l'intérêt public », a-t-il ajouté dans un communiqué.
Les politiciens incriminés dans l'enquête télévisée, un député et le président du Parlement, ont nié toute irrégularité de leur part.
Toutefois, le député en question, Christakis Giovanis, a démissionné du Parlement et des postes qu'il occupait au sein de son parti. Et le président du Parlement, Demetris Syllouris, a annoncé mardi qu'il quittait ses fonctions jusqu'à la fin de l'enquête policière.
Décision « très positive »
De son côté, l'Union européenne a accueilli avec satisfaction l'annonce du gouvernement chypriote. « Je salue la décision prise par Chypre de supprimer » les passeports en or, a tweeté le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders.
Le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune, s'est également réjouit sur Twitter de la décision « très positive » prise par les autorités chypriotes.
Une précédente enquête d'Al-Jazeera, basée sur des données ayant fait l'objet d'une fuite, avait montré que de riches Russes liés au Kremlin et des Chinois fortunés étaient « prêts à payer des millions de dollars pour un passeport de l'UE » à Chypre.
Les autorités chypriotes sont en train de réexaminer les dossiers des quelque 4 000 personnes ayant bénéficié du dispositif lancé en 2007, et qui s'est surtout développé après la crise économique de 2013. La semaine dernière, Chypre a annoncé la révocation de sept passeports.
L'annonce de la suppression des « passeports en or » à Chypre intervient quelques semaines après l'arrestation à Malte, autre pays européen, de Keith Schembri, l'ancien chef de cabinet de l'ex-Premier ministre maltais Joseph Muscat, dans le cadre d'une enquête sur des pots-de-vin présumés liés à la vente de passeports maltais à des riches citoyens de pays non membres de l'UE.
Ce trafic avait été dénoncé par la journaliste Daphne Caruana Galizia, assassinée en 2017, qui avait accusé cet ancien proche collaborateur de M. Muscat de corruption.